Article Tribune Libre #60 de Sylviane Bourgeteau

Un tigre qui n’est pas de papier

Il est inscrit à l’Inventaire national du patrimoine naturel, il est asiatique d’origine et est devenu citoyen du monde, il aime se cacher dans les vieux pneus, les bambous d’ornement. Pour voyager autour de la planète, il surfe sur la mondialisation des échanges, des transferts de biens et il adore les touristes qui prennent l’avion sans dédaigner ceux qui voyagent en voiture, en train ou en bus.

Séduit par les charmes de notre pays et surtout par notre climat qui se radoucit d’année en année, il vient d’élire domicile en France. Son nom de famille est Aedes et son prénom albopictus mais il est plus connu sous celui de : moustique Tigre[1].

C’est un convoyeur multifonction capable de transporter soit le virus de la dengue ou du Chikungunya ou bien même du Zika. Et en zone tropicale, il peut transborder une trentaine de virus ! Ce qui lui vaut le qualificatif de « vecteur » de ces maladies.

UN TIGRE QUI PEUT ÊTRE MORTEL

Cette introduction pourrait nous prêter à sourire si, selon l’OMS, ce moustique n’était pas à l’origine de 50 millions de cas annuels, dont 500 000 cas de dengue hémorragique qui sont mortels dans plus de 20% des cas et de près d’un million de cas de Chikungunya pour les seuls Caraïbes (dont plusieurs dizaines de décès) et les Amériques en 2014.

Il est important de prendre en compte qu’avec la privatisation de la santé (réduction des budgets de veille sanitaire, prévention et de typage sérologique) et les infrastructures défaillantes dans de nombreux pays émergents, les statistiques reportées à l’OMS ou à leurs bureaux régionaux sont très inférieures au nombre réel des cas.

UN TIGRE QUI N’EST AUTRE QU’UNE TIGRESSE…

C’est le moustique Tigre qui transmet le virus à l’homme qui le transmettra postérieurement à un autre moustique lors d’une nouvelle piqûre, etc. Et c’est exclusivement la femelle Tigre qui en est le vecteur. Après fécondation elle pourra parcourir jusqu’à 15 kilomètres pour absorber le sang d’un hôte qui lui assurera le développement de ses œufs qu’elle pondra ensuite de préférence dans des eaux stagnantes (flaques, coupelles de pot de fleurs, creux d’arbre, pneus usagés, vases, bidons, bâches, etc.)

Aujourd’hui en France, 20 départements rassemblent toutes les conditions propices à l’émergence du Chikungunya et ont été placés en vigilance Rouge et 21 autres sont classés en vigilance Orange.

Si les cas déjà répertoriés sont en majorité importés, les cas autochtones sont en augmentation.

Le pic épidémique à venir sera inévitable, nos organismes étant vierges de défenses immunitaires contre ces nouveaux virus. La France est une zone indemne donc un territoire entier à coloniser. C’est seulement lorsque des millions d’entre nous aurons été contaminés que la force virale et le pouvoir de contamination s’atténueront.

Mais en ce qui concerne la dengue, il existe quatre espèces différentes de virus appelées  « sérotypes », et une même personne peut développer la maladie plusieurs fois dans sa vie, si elle est exposée à plusieurs sérotypes.

… UNE TIGRESSE MÉCONNUE DE NOS MÉDECINS TRAITANTS

Hormis dans les services de maladies tropicales, la méconnaissance et même l’ignorance de ces nouvelles pathologies dans le reste du milieu médical français pose le problème du diagnostic puis celui de la reconnaissance et du suivi des séquelles.

Les principaux symptômes de la dengue comme ceux du Chikungunya sont à première vue analogues à ceux d’une grippe : fièvre élevée, douleurs articulaires, maux de tête et éruption cutanée.

Les personnes infectées outre-mer et revenues en métropole ont énormément de mal à faire reconnaître leurs pathologies dues aux séquelles et à trouver une prise en charge thérapeutique adaptée à leurs douleurs. L’ignorance et parfois le laxisme du monde médical à s’actualiser et s’informer en sont souvent le dénominateur commun.

Les séquelles du Chikungunya vont, entre autres, de l’arthrite chronique à des méningo-encéphalites ou des polyradiculonévrites. Et pour celles de la dengue, même si les études occidentales ont tendance à affirmer qu’elles sont inexistantes, nombre de chercheurs et de médecins des pays émergents –les plus touchés- étudient et traitent certains patients pour des encéphalites, des troubles cardiaques, rénaux, hépatiques, neurologiques jusqu’à des paraplégies.

Autre type de séquelle lors d’une épidémie : les séquelles économiques. Des centaines et même milliers de personnes vivant dans une zone géographique infestée ne peuvent plus travailler pendant la période de contamination et souvent des semaines ou des moins après en raisons des séquelles.

PRÉVENTION ET BON DIAGNOSTIC

La prévention est le meilleur répulsif et un bon diagnostic, réalisée à temps, est le premier pas vers la guérison.

Il semble donc urgent, d’une part, que les autorités municipales et régionales diffusent massivement au public les mesures de prévention préconisées pour éviter la naissance des larves.

Et d’autre part, que les autorités médicales françaises lancent des campagnes d’information et de formation auprès des médecins traitants et des hôpitaux qui verront d’ici peu arrivés dans leur cabinet ou leur service des cas autochtones de dengue ou de Chikungunya qui ne devront pas courir le risque d’être confondus avec une mauvaise grippe !

Enfin, le réchauffement climatique nous laisse peut-être d’autres futures et mauvaises surprises. N’oublions pas que la « fièvre des marais » ou paludisme a été éradiqué en France voilà seulement quelques décennies !

 

Sylviane Bourgeteau

 


[1] Le moustique Aedes aegypti est lui aussi vecteur de ces virus.

Pour aller plus loin…

Interview du Dr. Philippe BARGAIN

Responsable du service médical d’urgence de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, le Dr. Bargain nous explique le travail permanent de son équipe médicale en matière de sécurité sanitaire.

 

Les consignes de prévention :

Comment se protéger contre les moustiques ?

Conseil pour votre jardin

Site de l’InVS

Medecinedesvoyages.net

Mesvaccins.net

 


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