Grand Débat National

Contribution au Grand Débat : Démocratie et citoyenneté

Participer pour jouer notre rôle d’acteur du débat citoyen depuis 40 ans sur le territoire

Le 5 mars 2019 les adhérents de l’Institut Kervégan se sont réunis au café du marché pour apporter leur contribution au Grand Débat national. Le choix a été de mettre en débat une thématique unique, démocratie et citoyenneté qui constitue l’ADN de notre institut mais qui apparaît également comme transversale à l’ensemble de nos travaux. Nos échanges ont été structurés autour de trois sous thèmes animés par un
référent et débattus en petits groupes (30 min par thème) :

  • Représentation du citoyen et système électoral
  • Démocratie locale et concertation
  • Confiance et transparence

Dans l’esprit de l’Institut Kervégan, notre contribution est le résultat d’un échange de points de vue et de situations vécues. Plus que de proposer directement des réponses, la complexité des sujets nous on conduit à présenter une somme de questionnements dont les réponses soumises au débat, doivent permettre d’éclairer les décideurs.

 

Représentation du citoyen et système électoral

 

Une première question s’est imposée, celle de la participation aux élections : « Comment ramène-t-on les citoyens au vote ? ». En se penchant sur cette interrogation, on trouve les racines de l’émergence des contestations actuelles et les raisons de la crise de représentation que nous vivons en France notamment avec les « Gilets Jaunes ».
Il est apparu rapidement nécessaire de repenser le système électoral proposé depuis 1958 : scrutin uninominal majoritaire à deux tours, élection au suffrage universel direct du Président, passage du septennat au quinquennat, inversion des calendriers. Il a prouvé son efficacité mais aujourd’hui nous faisons le constat d’un système hyper présidentiel qui bloque. Quel levier actionner pour remettre la machine en route ? C’est ce que nous avons tenté de questionner à travers divers scénarios : Vote blanc, proportionnelle, mandat impératif, vote obligatoire, légitimité démocratique, rôle de la technostructure, diversité et représentativité des élites.

Prendre en compte l’avis des citoyens non représentés

Regardons un peu en arrière, sous la IVe république notre système politique fonctionnait sous la forme d’un mandat électif. Ses limites ? Des difficultés à mettre en action les réformes. Avec l’arrivée de la Ve république, nous constatons un système dirigé par les élites, devenu ultra présidentiel. Alors quels leviers actionner ? Voici nos propositions :

La question du vote blanc s’est tout de suite installée dans la discussion. Le pouvoir doit-il être le représentant de toutes les opinions ? Aujourd’hui il est clair que non. D’où la nécessité d’une démocratie représentative plus affirmée avec la prise en compte du vote blanc aux élections mais aussi en réintroduisant une dose de proportionnelle, entre 15 et 20 %. Il a notamment été proposé qu’en cas de majorité de votes blancs lors d’une élection, de repartir à zéro en recommençant l’élection afin de trouver un candidat plus légitime. La nécessité de donner plus de temps entre les deux tours, quinze jours étant beaucoup trop court pour forcer les alliances est une proposition à envisager. En complément à la reconnaissance du vote blanc, s’ouvre nécessairement une interrogation sur l’instauration du vote obligatoire. La question de la démocratie directe par référendum s’est posée mais cette option a assez vite été écartée car estimée trop dangereuse en ce qui concerne les questions politiques. Le référendum pourrait éventuellement être envisagé au niveau local sur des questions simples.

Une dose de proportionnelle

Nous faisons le constat d’une dichotomie entre le système représentatif de l’élection présidentielle et le mandat représentatif. Les français ont une relation particulière, et tiennent, à l’élection présidentielle au suffrage universel direct, ils ont besoin d’une certaine légitimité. Mais ils veulent également pouvoir agir directement, sentir que leurs choix sont pris en compte. Mettre en place un mode d’élection beaucoup plus différencié qu’aujourd’hui en agissant par exemple sur l’élection des deux chambres, une au suffrage universel directe et l’autre à la proportionnelle.

Un contre pouvoir plus important

Nous pensons que pour rendre plus légitime la démocratie représentative, il faut un contre pouvoir plus fort. Ainsi, nous proposons de déplacer les législatives avant l’élection présidentielle et de revenir au septennat.

Voter pour un homme plutôt que pour un programme

La figure du Président reste une figure importante dans le système français. Les représentants politiques devraient être élus sur une vision globale, sur leur capacité à être de bons stratèges et non sur des programmes souvent complexes et très techniques, difficilement compréhensibles. Nous constatons une volonté d’élire un homme plutôt qu’un programme. Alors pourquoi pas un vice-président plutôt qu’un premier ministre ?

Le mandat impératif

Une question majeure a agité nos débats au sujet de la nature du mandat confié au Président. Avec le système actuel, nous donnons beaucoup de pouvoir à quelqu’un qui n’est pas obligé de faire ce qu’il dit. Remédier à cette question est primordial afin de pouvoir résoudre la crise de défiance envers le politique et les élites.

Contestation des élites, rééquilibrer les pouvoirs

Un constat de crise des élites et une contestation de leur légitimité nous ont conduit à nous interroger sur la nécessité d’un rééquilibrage :

  • Rééquilibrage entre représentation du citoyen et participation ;
  • rééquilibrage entre le politique et la technostructure. Nous constatons, en effet, un éloignement du politique de la décision. Il faut dissocier la technostructure du politique ;
  • rééquilibrage dans le parcours des élites qui nous gouvernent, tous issus des mêmes grandes écoles, notamment l’ENA, pour faire face à un ascenseur social en panne et au constat d’un « pouvoir par les études ».

 

Démocratie locale et concertation

 

Très vite trois grandes questions ont émergé des échanges : La concertation est-elle réellement utile ? Quelle place pour la démocratie locale par rapport à la démocratie représentative ? La concertation a-t-elle un sens ?

La concertation pour quoi faire ? Agir pour une meilleure utilité

Un citoyen qui s’exprime lors d’une concertation doit savoir quel impact il va avoir : « Quand je dis quelque chose est-ce que c’est écouté ?» Il apparaît que les initiatives de concertation génèrent souvent une certaine frustration de la part des participants qui ont le sentiment de ne pas être écoutés. On constate d’ailleurs que de moins en moins de personnes participent. Le manque de clarté et de transparence peut expliquer cette situation. Pourtant une multitude de formes de participation existent et cela depuis longtemps : l’information, la consultation, la concertation, le débat public, la conciliation, le référendum, la conférence de citoyens, la cellule de planification, le jury de citoyens, le workshop, le sondage délibératif ou encore l’enquête publique. Comment y voir clair, quel outil choisir ? Il apparaît nécessaire de simplifier les choses et de mieux communiquer sur leurs principes afin de pouvoir les utiliser correctement et efficacement.

Nous nous sommes particulièrement penchés sur le cas des enquêtes publiques. Il semble que pour cette forme de participation le niveau local est plus approprié que le national. Des difficultés sont toutefois à noter en fonction de l’ampleur du projet. Il faut redonner aux enquêtes publiques un véritable sens.

Les conditions de réussite d’une concertation se basent sur le niveau d’implication des personnes et sur la perception qu’elles ont du résultat de leur participation. L’idée de développer des ateliers participatifs au niveau local afin de pouvoir choisir un certain nombre de projets à faire naître semble intéressante. En effet, l’objectif est de rendre le citoyen acteur du sujet en agissant donc plus en amont. La concertation doit être montée tout au long de l’élaboration du projet. Pour que ça fonctionne, il faut que le périmètre soit cohérent. La décision finale doit être exprimée avec clarté.

Quelle est la recette du succès d’une concertation réussie ? Première étape, il faut que la représentativité des participants sollicités soit la première des préoccupations. Il faut également veiller à ce que l’authenticité du questionnement que l’on envisage de poser soit fondée.

La place de la démocratie locale par rapport à la démocratie représentative

IL est important de faire une distinction basée sur la taille des communes. En effet, le rapport au citoyen est totalement différent suivant la dimension de ces communes. Il faut savoir adapter cette façon de revenir vers et de faire participer en questionnant le bon périmètre. La pertinence du recours à la démocratie locale est très conditionnée à la complexité du sujet. Plus le sujet est technique et demande des connaissances particulières, plus il est difficile de recourir à la démocratie locale. Un point de vigilance est à noter. Il faut veiller en effet au maintien d’un bon équilibre entre le poids de l’élection et celui de la concertation. Il a également été question de revoir le cumul des mandats dans le temps au niveau local. Nous préconisons de le limiter à deux mandats de six ans maximum pour les maires.

La concertation a-t-elle vraiment un sens ?

A travers cette question nous nous sommes interrogés sur la vraie représentativité de la concertation, à quoi peut-elle ressembler ? Peut-elle réellement exister ? Pour répondre à ces questions, il est apparu important de s’intéresser à la place de l’intérêt particulier dans le processus de participation. Il est certain que le sens de la concertation varie suivant le type et le stade d’avancement du projet. Nous avons fait le constat qu’il est nécessaire de distinguer les questions d’opportunité qui doivent précéder, pour les gros dossiers, celles de la faisabilité.

Enfin pour réaffirmer le sens de la participation et de la concertation, nous avons regardé du côté du référendum local comme levier intéressant, à la différence du référendum national. Nous sommes tombés d’accord pour dire qu’il est important de trouver le bon niveau de concertation. Nous proposons de questionner avant tout les « payeurs », il est en effet plus légitime que ce soit eux qui se prononcent. Pour aller plus loin sur le sujet du référendum, nous nous sommes penchés sur le « référendum enrichi »  qui semble pertinent à mettre en œuvre. Le principe, former des groupes de citoyens tirés au sort et consultés pour expliquer et enrichir la question posée par les décideurs.

 

Confiance et transparence

 

Lorsque nous parlons de confiance et de défiance, il faut se demander où se place cette défiance. Au niveau des institutions, des décisions (processus et finalité) ou des élus eux-mêmes ? Cette défiance ne se situe pas uniquement au niveau national mais traduit un mouvement de fond au niveau mondial avec une remise en question de nos systèmes de représentation et de nos élites. Nous constatons toutefois que des progrès en matière de transparence sont déjà en cours. Il faut néanmoins aller plus loin pour apaiser le sentiment actuel de manque de confiance du citoyen envers le politique.

Reconstruire un projet de vie, un projet collectif

Nous avons l’impression que nous ne vivons plus aujourd’hui dans un espace collectif – nous ne sommes qu’une superposition de réseaux / sociétés qui ne se côtoient plus au quotidien.

Nous faisons le constat d’un rapport très individualiste, il s’agit de satisfaire une somme d’intérêts particuliers. En découle alors des difficultés à se projeter et finalement à visualiser un projet de société, de vie au niveau local comme au niveau national.

Aujourd’hui, il est souvent apporté des réponses à très court terme à nos demandes. Alors, nous ne parvenons plus à savoir où nous allons collectivement. Ajoutons à ce constat le rôle de la presse et de la communication politique qui aujourd’hui s’arrête plus sur la forme que sur le fond : «nous commentons plus que nous agissons». L’absence de récit et d’incarnation dans un projet de société a pour effet que nous ne nous reconnaissons plus dans nos institutions, elles ne représentent plus totalement nos aspirations et sont de plus en plus dans l’incapacité à représenter 63 millions de personnes dans toutes leurs diversités. Nous assistons alors à une évolution de notre société vers une approche très individualiste.

Décider c’est savoir ?

Pour avoir confiance, nous avons établi qu’il est nécessaire de pouvoir comprendre. Il s’avère en effet que l’on comprend assez peu comment est construit l’impôt, par exemple, ou comment est fabriquée la décision, comment on la prend ? On comprend aussi finalement assez peu comment est dépensé l’argent, la fiscalité globale, à qui sert-elle ? Comment est-elle utilisée ? Toutes ces incompréhensions engendrent beaucoup d’a priori. Dans ce contexte, on peut émettre des doutes sur la capacité du peuple à décider directement sans avoir les clés de ces décisions. Nous partons du postulat que parfois les clés de décisions sont entre les mains de la technostructure et qu’elle ne les partage pas forcement et ce parfois de manière volontaire.

Embouteillage électif

Le changement de calendrier électoral se traduit aujourd’hui par de longues périodes sans élection et une impossibilité de remettre en question les majorités et les élus. Nous donnons d’une certaine manière un blanc-seing à nos élus. Pourtant la confiance doit à l’inverse être renouvelée en permanence. A ce titre, il semble nécessaire de mener une réflexion sur le processus d’influence et de contestation des institutions.

Des attentes vis-à-vis des élus

Dans le prolongement des deux précédents points, nous ne savons plus finalement pourquoi nous devons faire confiance aux élus. Qu’attend-on réellement d’eux ? Paradoxalement, nous avons voulu un respect des programmes ,par exemple, pourtant nous remettons en cause les élus qui mettent en œuvre ces programmes.

Affirmer le principe de subsidiarité

Notre état jacobin manque de décentralisation et ne s’interroge pas sur l’échelon le plus adapté pour mener des politiques. Nos collectivités doivent aller vers plus d’autonomie et être les seules en capacité d’agir sur certain point. Malgré tout, nous devons nous interroger sur le mode d’élection de nos représentants. Par exemple, nous n’élisons pas nos représentants au niveau métropolitain et communautaire alors que ces derniers ont une importance forte.

S’interroger sur la pertinence du vote obligatoire, une fausse bonne idée pour lutter contre l’abstention ? En effet, le constat est fait que nous ne nous sentons plus représentés individuellement. Nos aspirations individuelles ne s’inscrivent plus dans un collectif et appellent à se représenter elles même. La difficulté exprimée par les gilets jaunes à trouver un représentant l’explique notamment.

Pour faire confiance, il faut savoir où l’on va

En conclusion et si nous devions résumer notre réflexion en un mot, nous retenons la notion de récit : expliquer, partager l’information, savoir où l’on veut aller, entendre et écouter, avoir les clés pour décider sont les points de départ du changement attendu.

 

Dossier publié dans la Tribune Libre

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