Connaissances et croyances en guerre sur la toile

Mauvaise nouvelle pour la démocratie?

Paru dans la Tribune Libre #50 (PDF, 1.72 Mo)
Mai 2013

Auteur : Stéphanie RABAUD

 

La lecture du dernier ouvrage du sociologue Gérald BRONNER, La démocratie des crédules* a de quoi rendre perplexe : A l’heure de tous les enthousiasmes suscités par l’ère numérique et par ses formidables opportunités pour l’expression de la démocratie participative, voilà qu’on se met à douter :

On pensait qu’internet allait permettre « la démocratisation de la démocratie », on pensait qu’internet allait autoriser une « formidable promesse d’égalité », rendre possible « l’utopie d’une parole libre » et organiser « la délibération permanente ».

Or, nombre de données psycho-sociologiques viennent jouer les troubles fêtes !

Quel est le contexte ?

Le volume des connaissances scientifiques a sans cesse augmenté, et le temps imparti à l’éducation et la formation est resté stable. Ainsi, la part relative de ce que chacun peut maîtriser a diminué.

Internet a suscité une véritable révolution de « l’offre cognitive » au moment où s’opérait une libéralisation accrue du marché de l’information. Mais la structuration de cette offre se rapporte au rayonnage de supermarché qui rend plus attractifs certains produits que d’autres. Or en tête de gondole on retrouve plus fréquemment des produits issus des croyances que des produits issus de la connaissance. C’est le double effet de notre «avarice cognitive» (s’approprier le produit de la connaissance scientifique demandant beaucoup plus d’effort et de temps) et du PageRank des moteurs de recherche.

Les catégories de l’angoisse collective ont ainsi évolué : le fonctionnement de l’esprit humain se focalisant plus facilement sur les coûts que sur les bénéfices, notamment face aux propositions technologiques, les suspicions se sont portées aujourd’hui sur les scientifiques, les journalistes et les politiques.

En quoi la démocratie pourrait en pâtir ?

Si chacun a le droit de s’exprimer sur tous les sujets quelque soit sa compétence et si chacun a le droit de décider, sommes nous pour autant à l’abri de l’erreur collective? Le temps imparti à la vérification des données n’est pas le temps des médias numériques, les militants sont plus motivés et consacrent plus de temps pour défendre leur point de vue que ceux qui doutent ou sont indifférents, les compétences d’argumentation que certains ont sur d’autres, les conflits d’intérêt et les enjeux idéologiques, tout cela fait dire à l’auteur que parier sur la sagesse de la multitude dans la délibération collective relève de l’illusion.

Comment capitaliser sur ces constats ?

Miser sur l’éducation et la formation ? Oui, à condition que le développement de l’esprit critique qui caractérise les sociétés démocratiques, s’accompagne de ce que Bronner considère comme la pierre d’angle de toute pédagogie, à savoir l’enseignement de la méthode, pour mettre à distance les très nombreuses erreurs de perception dans notre représentation du monde.

Ensuite, la société a besoin de réactiver les réseaux de la science populaire, elle doit donc s’appuyer sur de nouveaux relais de la connaissance.

La démocratie n’est pas encore arrivée à son âge de maturité. La lecture de cet ouvrage pourra irriter certains esprits, mais si l’on en fait une lecture rigoureuse, il y a matière à débattre et à éviter bien des désillusions.

 

* Gérald Bronner, La démocratie des crédules, Presses universitaires de France, mars 2013