Travaux du groupe "Ruralités"

La ruralité à l’épreuve de la métropolisation

Analyse des relations entre la métropole nantaise et les territoires ruraux, périurbains et littoraux.

Tel est l’intitulé du diagnostic proposé par des étudiants de l’IGARUN (Institut de Géographie et d’Aménagement régional de l’université de Nantes sous la direction de T. Guineberteau / Étudiants : N. Boury, L. Desvergne, N. Dujour, E. Gabo, E. Gruchet, G. Valadour). Ces travaux ont été conduits à la demande du groupe de réflexion « ruralités » de l’Institut Kervégan. Maryse Menanteau, co-animatrice du groupe vous propose de découvrir les grandes lignes de ce diagnostic.

Les grandes étapes de l’élaboration du diagnostic

Quatre intercommunalités ont été retenu pour exprimer la grande diversité des contextes ruraux de Loire-Atlantique :

  • Région de Blain et Erdre et Gesvres : pour leur proximité territoriale, et leur interrelation supposée étroite avec la métropole nantaise, notamment en terme de relations domicile-travail.
  • Châteaubriant-Derval : un territoire éloigné de Nantes mais relié à la métropole par le tram-train. Quelles incidences relationnelles ?
  • Pornic Agglo-Pays de Retz: un territoire rural et littoral, limitrophe de Nantes Métropole. Quels impacts de la fonction touristique dans le lien tissé avec la métropole… ?

Il a été question pour chaque territoire d’étudier leurs liens avec la métropole nantaise. Comment se manifestent-t-ils et à quelle intensité ? Comment ces territoires peuvent-ils se développer, exprimer un équilibre, des complémentarités et des coopérations avec le territoire métropolitain ?

Un travail de caractérisation des territoires ruraux a été orchestré : métropolisation à la nantaise ciblée sur la culture, les équipements et services (Blain), les mobilités (Châteaubriant-Derval), les dynamiques socio-démographiques (Erdre et Gesvres / Nort-sur-Erdre), fonction récréativo-touristique (Pornic Agglo-Pays de Retz) avec la notion de « banlieue bleue ».

Pour aborder l’ensemble des questionnements, les étudiants ont mobilisé une pluralité d’outils méthodologiques combinant à la fois des méthodes quantitatives et qualitatives à travers la mise en place d’enquêtes menées auprès de lycéens et d’utilisateurs du tram-train entre Nantes et Châteaubriant, cartes mentales. L’objectif étant de qualifier rapports vécus, pratiques spatiales et représentations et ainsi mieux appréhender la représentation qu’un individu a de l’espace rural et de sa relation et perception à l’urbain et à la métropole.

La difficile définition des espaces ruraux

Les espaces métropolitains, ruraux, périurbains et littoraux sont complexes à définir. Les définitions de l’Insee, peinent à cerner pleinement la ruralité, la définissant en creux par la notion d’aire urbaine et par la seule entrée limitative de l’emploi. Pour mieux caractériser ces territoires, les seuls critères morphologiques de densité et d’occupation du sol (paysages naturels et/ou agricoles) sont insuffisants. Ils doivent intégrer les dynamiques sociodémographiques, de mobilités ou d’emplois. La métropole se définit d’abord par des fonctions de commandement qui impliquent une influence liée à l’emploi et à la formation  sur ses territoires de proximité. L’espace périurbain se définit morphologiquement par un mitage du bâti et des dynamiques liées au développement périphérique des agglomérations.

La limite entre l’espace urbain et rural est très floue. Des populations citadines se sont installées à la campagne – ou dans l’espace périurbain – tout en conservant un mode de vie citadin. Cela a généré de fortes mobilités, des migrations pendulaires, la construction d’habitations pavillonnaires par consommation d’espaces agricoles, etc. L’aire d’influence métropolitaine notamment par les emplois qu’elle génère, s’exerce autant au centre de la métropole qu’à sa périphérie. Jusqu’où s’étend l’aire d’influence de la métropole dans sa périphérie ? Peut-on considérer les zones de densité secondaires, voire faibles, comme des espaces métropolitains? Peut-il exister au cœur d’une métropole des espaces possédant les caractéristiques d’un espace rural? Complexité et hétérogénéité coexistent ainsi au sein même d’un espace. Un espace peut être fragmenté, que ce soit spatialement ou socialement.

Présentation globale des territoires

Les 4 intercommunalité étudiées  représentent 30% de la superficie du département, pour une population d’environ 175 000 habitants. Suite à la Loi Notre de 2015, Pornic Agglo Pays de Retz et la CC Châteaubriant-Derval ont connu des recompositions territoriales majeures.

Deux territoires d’étude sont rattachés au SCoT métropolitain de Nantes Saint-Nazaire, la communauté de communes Erdre et Gesvres (CCEG) et la communauté de communes de la région de Blain. Ces Communautés de Communes sont d’ailleurs limitrophes. A l’exception du Castelbriantais qui affiche un taux d’accroissement démographique faible, les intercommunalités de Blain, Erdre et Gesvres et de Pornic Agglo Pays de Retz bénéficient d’une dynamique démographique forte, sur la période récente 1999-2014, supérieures à celles de Nantes Métropole ou de la moyenne départementale. La dynamique de périurbanisation est plus intense dans Erdre et Gesvres du fait de sa proximité avec la métropole nantaise ou pour la partie Est de Pornic Agglo Pays de Retz. La part du secteur primaire représente 10% des emplois de la population active de la CC Châteaubriant-Derval contre 5% dans les autres intercommunalités étudiées (3% en France).

L’image de la ruralité

D’une vision paradoxale de la ruralité à sa caractérisation : Si la ruralité n’était qu’une question de perception ?

Il a été demandé à des habitants de : « Tracez, selon vous, la limite entre l’espace urbain et rural ». L’analyse de ces cartes mentales montre des distorsions importantes entre les limites d’espaces ruraux et urbains avérés (scientifiquement, selon les définitions) et la manière dont les habitants les perçoivent. L’urbain a souvent été défini par la présence de commerces ; le territoire est nettement plus considéré comme rural au Nord de la Loire.

Une image positive de la métropole nantaise vue des territoires ruraux en opposition avec la représentation métropolitaine plutôt négative de la ruralité

Les espaces ruraux suscitent des perceptions différentes. Mais la métropole nantaise est souvent perçue de manière plutôt positive. La relation de proximité influe favorablement sur la perception : des lycéens en proche périphérie de la métropole nantaise, possèdent une vision plutôt positive, alors qu’à l’inverse les territoires plus « lointains » en ont une vision négative, voire très négative.

Vue des métropolitains1, la ruralité est encore entachée de stéréotypes : « la campagne est associée à un endroit éloigné des grandes villes. C’est un espace peu peuplé, pauvre, où l’on pratique l’agriculture, avec peu de services et de bassins d’emplois. Il est considéré comme peu attractif, on cherche plus à en partir qu’à y habiter, est peu concerné par le tourisme. La population y est essentiellement âgée et a fait peu d’études. »

L’influence de la métropole

Des espaces ruraux influencés par la métropole nantaise qui tendent cependant à se différencier :

  • Attractivité sociodémographique : Les communes d’Erdre et Gesvres attirent une population active, composée le plus souvent de familles de jeunes couples en recherche d’espace et de nature à proximité des grandes villes. Cette périurbanisation conduit ces communes à devenir résidentielles, par la création de lotissements. Se pose alors la question du mitage pondéré par une volonté politique de densification à travers la loi SRU de 2000.
  • Culture et tourisme/ construction d’une identité territoriale : ces territoires misent aussi sur un développement de leur attractivité en appui des espaces récréatifs que sont pour les Nantais (et les touristes) le canal de Nantes à Brest et la Forêt du Gâvre. Pour faire face au sud Loire, les intercommunalités de Blain, Nort-sur-Erdre et Nozay ont, depuis le 1er janvier 2018, fusionné leurs offices de tourisme : l’office du tourisme du pays Erdre Canal Forêt. L’idée est de construire un « paysage sensible » doté de valeurs esthétiques, identitaires, affectives et sociales, « de stabiliser un canevas d’espaces agricoles et naturels comme fondation d’une identité territoriale périurbaine. » (source PADDPLUi). Les intercommunalités de Blain et de Nort-sur-Erdre tentent de se différencier et de profiter de la proximité de la métropole nantaise pour attirer des flux de Nantais sur leur territoire. La construction de cette identité participe également à l’essor d’un sentiment d’appartenance au territoire pour les habitants. Associé au tourisme à travers des événements, la culture est un autre type de relation entretenu par ces territoires à la métropole. Le Pays de Blain favorise la valorisation patrimoniale avec son château et son histoire.
  • Equipements et services : Ils sont répartis de manière plus équilibrée. Les territoires de Blain et Nort sur Erdre possèdent tous les équipements et services de la gamme de proximité et de la gamme intermédiaire. Ces territoires ne possèdent pas en revanche certains d’équipements et services de la gamme supérieure, notamment dans le domaine médical, pourvu par la métropole nantaise.
  • Transports et mobilités : La structure du réseau de transport du pays de Blain de l’Erdre et Gèvres se construit autour d’un réseau routier qui les relie directement à la métropole nantaise. On constate, une forte dépendance à la voiture individuelle malgré la mise en place de réseaux de transport en commun comme le tram-train Nantes-Châteaubriant, mis en service en 2013 et l’existence de lignes interurbaines du réseau Lila.

Pornic et le Castelbriantais, des espaces qui se suffisent à eux même :

En 2017, la communauté de communes de Châteaubriant – Derval a généré la plus haute augmentation du nombre d’emplois du département, avec une augmentation de plus de 2,3%, Parmi nos quatre territoires, Châteaubriant est le mieux pourvu en équipements.Le littoral et les stations balnéaires confèrent à l’intercommunalité Pornic Agglo Pays de Retz une fonction récréative et touristique, valorisante par les retombées économiques générées. Si l’apport de touristes venant de la métropole nantaise est à prendre en compte dans les relations qui unissent Pornic à Nantes, nous pouvons aussi qualifier la communauté d’agglomération indépendante de la métropole nantaise économiquement. La mise en valeur du patrimoine induit une indépendance vis à vis de Nantes. Une plus grande distance géographique à la métropole nantaise leur octroie plus d’autonomie avec un plus grand nombre de service et équipements.Concernant la question des mobilités, des liens faibles sont a observer entre Nantes et Châteaubriant mais contrastés pour Pornic. En effet, Le Castelbriantais est  à la fois un territoire éloigné de Nantes, mais aussi le plus éloigné d’une métropole. Quant à Pornic, elle possède des aménagements qui favorisent les flux avec la métropole nantaise. Sa population est multipliée par 4 en moyenne pendant la saison estivale.  Notons que le tram-train relie la gare de Châteaubriant à celle de Nantes en 1h20. C’est un temps de trajet supérieur à celui du trafic en voitures lors de conditions normales de circulation. La ligne demeure faiblement fréquentée, à l’exception du linéaire Nort-sur-Erdre/ Nantes.

L’attractivité des territoires

Une attractivité des territoires à pondérer face à la menace de villes-dortoirs et des mobilités encore dominées par l’usage de la voiture, source de saturation des axes d’entrée dans la métropole :

Il subsiste encore des carences dans l’effet d’entraînement du phénomène métropolitain dans le propre développement des territoires ruraux.

Au-delà des fonctions d’offre de formation et d’emplois, la métropolisation s’exprime par la culture : concerts des Folles Journées, le Voyage à Nantes, les Escales, La nuit de l’Erdre… Par la concentration des emplois et des activités, et ce, malgré le déplacement de certaines activités vers des espaces périphériques, la métropolisation génère de nombreux flux et nouvelles mobilités. La population active qui travaille à Nantes n’y habite pas dans son ensemble : la pression foncière, en augmentation, la recherche d’espaces plus “naturels” favorisent un choix résidentiel dans les territoires ruraux. Ainsi, ce sont plus de 100 000 actifs qui effectuent un trajet de leur commune de résidence à leur lieu de travail situé dans la métropole (INSEE, 2012). Ce trajet s’effectue quotidiennement ou presque. C’est ce que l’on nomme « migration pendulaire ».

Ce phénomène de migrations pendulaires soulève plusieurs enjeux. Le premier est la question des « villes-dortoirs », en lien avec le mitage présent dans les espaces périurbains. Selon l’Auran, 46% de la population de la CC d’Erdre et Gesvres habitent dans des villages, hameaux et bâtis isolés et ont donc moins d’opportunités de fréquentation des centre-bourgs de leurs territoires. Le second enjeu est lié à la question des mobilités. L’Auran fait le constat que ces migrations pendulaires se réalisent pour 88% en voiture dans la métropole nantaise, et ce en dépit d’une hausse des transports en commun mis en place et le recours à des pratiques comme le covoiturage.

Le périphérique nantais semble former une frontière entre les habitants de la métropole et les « autres », les déplacements se concentrant dans les zones périphériques de la métropole comme les centres commerciaux.

Les balbutiements de la coopération entre la métropole et les territoires associés / les différents enjeux :

Principale faiblesse des territoires d’étude, l’enjeu de mobilité et de déplacement se traduit par un usage très important de la voiture pour accéder à la métropole nantaise. Mais les trajets motorisés sont pour 1/3 réalisés sur moins de 1 km, pour des trajets de proximité.

Outre des enjeux liés à la saturation du réseau routier pour atteindre Nantes, se posent aussi des enjeux de pollution avec l’émission de CO2 (Auran) et un coût élevé pour les ménages. Seules deux lignes de bus relient la CC de Blain à Nantes. Cette défaillance en transports et accessibilité est au cœur de la stratégie du territoire. Dans son Plan Global Déplacements, l’objectif est d’ici l’horizon 2030, de réduire le nombre de déplacements en voiture de 50%.

Axes de proposition

Un rayon d’action de la métropole nantaise qui tend à s’agrandir mais qui devra s’effectuer de manière concertée avec les autres territoires. Être capable de mener une coopération horizontale entre tous les territoires est sans aucun doute l’un des principaux défis de la métropole nantaise, et plus globalement du fait métropolitain.

Des disparités sont à noter entre les territoires et avec la métropole. Des pistes de réflexion sont proposées pour renforcer ces relations ou améliorer la coopération et gagner en cohérence :

  • Une meilleure coopération et coordination : Mise œuvre de politiques publiques et de projets territoriaux élaborés et menés conjointement. Développer la concertation, impliquer la population. Construire un vécu commun en respectant les diversités de chaque territoire. Des coopérations à toutes les échelles doivent être encouragées, entre les intercommunalités, les pays, les périmètres de SCoT.
  • Vers une alliance des territoires ? Travailler ensemble : Mieux faire comprendre aux habitants le périmètre métropolitain. Par exemple, la commune de Treillières qui est limitrophe de celle de Nantes, ne possède pas de desserte de la Tan. Les populations et les territoires en dehors de la métropole doivent donc être mieux intégrés dans les réflexions. Une intégration ne sous-entend pas une relation dissymétrique. Une cohérence et une interdépendance entre les territoires doivent ainsi émerger plus naturellement. Pour cela, la métropole ne doit pas se placer dans la position du dominant par rapport aux autres territoires. Pourqu’une alliance existe dans les faits, V. Jousseaume propose que chaque territoire ait le même poids décisionnel indépendamment de sa démographie et de sa santé économique2.
  • Une logique de développement vertueux : Dans une logique de développement vertueux profitant à tous, il faudrait renforcer les liens entre les territoires et les acteurs publics et privés par une stratégie concertée de développement économique : renforcer le tissu économique et les filières.
  • Limiter l’étalement urbain et préserver les terres agricoles : Prioriser le commerce en centre-bourgs et arrêter le développement des zones commerciales périphériques.
  • Améliorer les transports en commun en dehors de Nantes métropole : Un problème récurrent, en particulier sur les axes Châteaubriant-Nantes et Blain-Nantes, dont les territoires restent très dépendants à la voiture. Désengorger le réseau routier aux entrées de la métropole en favorisant et régulant les flux avec les territoires périphériques.
  • Intensifier les évènements culturels
  • Planifier de grands équipements : par rapport aux flux de population et aux mobilités internes à chaque territoire, la construction d’un nouveau lycée à Nort-Sur-Erdre permettrait de désengorger et de diminuer les flux de populations.

 

Par Maryse Menanteau, co-animatrice du groupe « Ruralités »


1  Cf. Enquêtes  sur la perception de la ruralité menée auprès des adhérents de l’Institut kervégan

JOUSSEAUME V., 2017, « La métropole peut-elle s’allier sans dominer ? Récit pour une nouvelle alliance ville-campagne », revue Pouvoirs Locaux, n°111, déc. 2017-janv. 2018, dossier « L’alliance des territoires ».

Pour aller plus loin

Télécharger la version intégrale du diagnostique : « La ruralité à l’épreuve de la métropolisation » (pdf)