Groupe de réflexion : Démocratie locale 2032

Témoignages d’élus et d’experts de la participation citoyenne #3

Bruno Servel

Maire de Kergrist et chargé de développement de Bruded

 

Entretien réalisé en juillet 2019 dans le cadre des travaux de réflexion de l’Insitut Kervégan sur l’avenir de la démocratie locale.

 

Bruno Servel – Ce qui est intéressant dans une petite commune, c’est que c’est bien plus souple. Quand une équipe municipale a un projet, elle a sans doute plus de liberté pour le mettre en œuvre que dans une plus grande commune, où il y a plus d’inerties et d’acteurs. C’est un véritable atout pour les petites communes, elles sont parfois plus pionnières, parce qu’elles ont finalement plus de facilité à faire.

 

IK – Est-ce que vous pouvez vous présenter en revenant sur votre parcours personnel, et plus spécifiquement chez Bruded ?

Bruno Servel – Je suis un agriculteur de la commune qui a appris sur le tas. J’ai aussi une formation de photographe, mais je me suis toujours intéressé au développement durable en parallèle. Le conseil régional proposait une formation méthodologie sur le portage de projet développement durable, à laquelle j’ai assisté. Cela m’a ensuite permis d’être embauché comme chargé de mission chez Bruded, le réseau d’échange d’expériences de développement local durable entre collectivités en Bretagne. En 2008, une équipe municipale se met en place dans ma commune, Kergrist, à laquelle je participe. Mais les deux têtes de listes ne sont pas élues. Comme j’étais déjà dans le milieu des collectivités et dans le développement durable, je me suis lancé. Sans véritable connaissance, mais en me disant que je pourrais m’appuyer sur mon réseau. Les élus de l’équipe municipale m’ont aussi fait confiance.

Je me suis représenté pour un deuxième mandat, et nous voilà à la fin.

 

IK – Vous qui êtes maire d’une commune de 715 habitants, quelles évolutions avez-vous pu voir par rapport à votre fonction de maire ?

Bruno Servel – Pas tant que cela finalement. J’écoutais hier soir une émission sur France Inter « Le téléphone sonne » où une maire de la Drôme expliquait son ressenti et les évolutions qu’elle avait ressenti par rapport aux habitants, qu’elle considérait plus comme des consommateurs et qui avaient du mal à s’inscrire dans l’intérêt général. Les habitants font des demandes sans réfléchir à l’intérêt pour l’ensemble de la population.

Personnellement, je ne ressens pas du tout cette évolution. Au sein du réseau Bruded, il n’y a jamais eu de discours négatif ou pessimiste. Notre ressenti général est toujours positif : les élus vont de l’avant.

 

IK – Vous pensez que cette dynamique collaborative positive ne met pas les habitants en posture de consommateurs ?

Bruno Servel – Oui, mais il y a surtout la posture même des élus. Notre équipe s’est positionnée dès le début sur des projets d’intérêt général. Nous ne sommes pas là pour que quelqu’un en profite plus que les autres. Je pense que nous avons réussi à trouver un bon compromis entre une certaine distance avec les habitants et une association/proximité avec eux dans chaque projet.

 

IK – Pouvez-vous alors nous raconter un peu ce qu’est Bruded : pourquoi est-ce que cela s’est fondé, comment est-ce que cela évolue et quels en sont les objectifs ?  

Bruno Servel – Au début des années 2000, il y a beaucoup de mairies de petites communes issues du milieu associatif et culturel, qui ne se connaissent pas, mais qui ont envie de faire autrement dans leurs communes. Ils sont très au fait du développement durable, de l’importance de la culture et du lien social. Ils y voient aussi des pistes pour redynamiser leurs communes, notamment pour attirer de nouveaux habitants. Ils se lancent alors dans des projets d’éco-lotissements. Bernard Mainguy, un architecte breton, travaillait déjà avec quelques élus et il a fait le lien entre tous ces nouveaux élus. De ces rencontres est née l’envie de faire une association d’élus pour faire connaître les projets de chacun et s’entraider car les petites communes ont peu de moyens financiers. Il y avait par exemple Serge Moëlo, Daniel Cueff, le maire de Langouët, le sénateur Joël Labbé, etc. Des gens qui ont fait un bon bout de chemin contre les produits phytosanitaires dans les communes.

Très vite des communes ont adhéré. Le réseau a ensuite été soutenu par la région à partir de 2008 à raison de 100 000 euros par an, puis le soutien de l’ADEME en 2010, puis des départements, comme le Finistère, l’Ille-et-Vilaine, la Loire Atlantique. Sur certains projets, de manière ponctuelle, on a été soutenu par la préfecture de région, l’ARS, etc. Le réseau est vraiment monté en puissance. L’équipe aussi, car nous sommes quatre chargés de mission et une chargée de communication.

 

IK – Quelles sont les difficultés des élus de petites communes où Bruded vient apporter des solutions ?

Bruno Servel – Chaque commune adhérente doit mettre à disposition toute la matière qu’elle a autour de ses projets. Par exemple, si une commune fait une rénovation d’une salle de spectacle ou d’une bibliothèque, elle met à disposition le cahier des charges, puis les descriptifs des matériaux utilisés, les difficultés qui ont pu être rencontrées. Elle capitalise sur le projet et c’est mis à disposition des autres collectivités. Quand une équipe municipale prépare un projet, elle pourra déjà s’appuyer sur de la matière. Les chargés de mission de Bruded vont aussi avoir la capacité de préciser le projet, faire des retours d’expérience plus adaptés et proposer des architectes qui ont déjà fait ce genre de projet. Cela permet aux élus d’affiner leur projet et cela leur donne de l’énergie !

 

IK – Comment vous positionnez vous par rapport au CAUE alors ?

Bruno Servel – Cela n’est pas un souci, car nous ne sommes pas des experts, mais avant tout des animateurs de réseau, nous capitalisons et organisons des évènements. On va faire des fiches projets, des documents de mutualisation quand on a assez de matière sur une thématique. On met en avant les leviers de réussite, les obstacles et les freins, mais nous n’avons pas un discours de conseil. Ce sont aux élus de retenir ce qui leur convient.

 

IK – Pourriez-vous me donner des exemples de projets que vous estimez innovants que vous accompagnez ?  

Bruno Servel – Prenons un matériau, la paille. La petite commune de 300 habitants de Mouais au nord de la Loire Atlantique décide d’aller vers l’utilisation d’un matériau durable que l’on peut produire sur la commune. Le maire, Yves Daniel, maintenant député, était aussi agriculteur. L’équipe municipale propose donc de faire une salle des fêtes en paille, ce qui n’est pas simple, notamment car peu d’acteurs maîtrisent ce matériau. Ils ont donc sollicité Bruded. Notre collègue Michaël n’a pas forcément les compétences non plus, mais il va contacter tous les acteurs autour de ce réseau au niveau national et il va les faire venir. Ce projet a été mis en place avec des difficultés, mais pour autant, il a été fait. Tous ces élus pionniers se disent à un moment « Il faut y aller, malgré les difficultés ». Les autres projets qui viendront après seront meilleurs car ils pourront alors s’appuyer sur ce qui a déjà été fait. Bruded peut alors capitaliser sur ce type de projet innovant. On les valorise, on les fait connaître en organisant des visites, des rencontres thématiques pour que cela inspire d’autres élus. Depuis, la commune de Silfiac a fait un projet de logements neufs en isolation en paille et la commune de Quistinic un pôle enfance en utilisant de la terre, du bois et de la paille. En quelques années, un matériau qui été inconnu du réseau Bruded en est à son sixième projet.

 

IK – Quelle est la place de l’habitant dans le processus de ces projets ?  

Bruno Servel – La plupart des communes aujourd’hui ne font pas un projet sans y associer les habitants. Ce qui peut aussi être intéressant, c’est d’aller chercher chez les habitants des compétences qui sont nécessaires au projet. Il s’avère qu’il y a plein d’habitants dans les communes, qui ne sont pas nécessairement dans l’équipe municipale, mais qui aimeraient donner leur avis et qui ont une expertise. Pour les projets d’écoconstruction, plusieurs communes s’interrogent sur des constructions participatives. Pour les projets utilisant la paille, c’est arrivé. Il est alors stipulé dans les cahiers des charges pour l’entreprise qu’elle devra accompagner un chantier participatif sur un lot particulier ou un moment de la construction.

 

IK – Vous impliquez les habitants dans le faire et dans la prise de décision, mais sont-ils impliqués dans la réalisation des cahiers des charges. Si oui, sous quelle forme ?

Bruno Servel – Dans notre petite commune, on a voulu ouvrir une salle de spectacle. Mais on ne savait pas s’il y avait un public, nous avons donc associé les habitants et les associations pour définir un programme pour cette salle de spectacle.

Cependant, au départ, il y a une réflexion en amont des élus, un cadrage politique, par souci d’efficacité. C’est inefficace d’arriver en réunion publique avec une page complètement vierge. Par exemple, on a un postulat de départ sur le développement durable et aucun projet ne peut en déroger. Si les habitants veulent remettre en cause l’utilisation des matériaux durables, ils ne voteront tout simplement pas pour nous à la prochaine élection.

 

IK – Une fois que vous avez rappelé ces visions politiques, comment est-ce que vous animez ces concertations ?

Bruno Servel – Dans ce cas-là, c’était nous, les élus, qui animions, mais sur les projets au sein du réseau Bruded, avec des projets plus importants, il peut y avoir une structure extérieure. Il y a plusieurs communes de Bruded qui sont lauréates pour la dynamisation des bourgs ruraux et elles ont fait le choix de faire appel à une animation extérieure pour mettre en place ces projets. Sur des projets à vocation très participative, c’est mieux d’avoir une personne extérieure qui prenne en charge l’animation. Mais sur ma petite commune, notre équipe municipale se sent en capacité d’animer les débats, car après tout, tout le monde se connaît. Cela peut être plus compliqué sur une commune de taille plus importante.

 

IK – Oui, et comme vous le disiez au début, il faut savoir mettre en distance entre la fonction de l’élu et celle de l’habitant. Est-ce que, durant les cinq dernières années, vous avez vu une évolution du rapport de l’habitant à la démocratie ?

Bruno Servel – Au sein du réseau Bruded, la prise de conscience est de longue date, même si cela n’a été acté par les élus que depuis un an et demi. Cette année, notre cycle de visite au tour de la thématique de la revitalisation du Centre Bourg, nous avons beaucoup communiqué sur le fait que les visites étaient ouvertes à tout le monde, notamment aux habitants qui souhaitent s’impliquer dans des projets pour leur commune. Cela devient incontournable, les habitants sont en demande d’une démocratie à leur échelle. Ce n’est cependant pas simple, car il y a beaucoup de pédagogie à faire autour des projets. Mais les projets les plus réussies sont ceux où sont associés les habitants.

 

IK – Qu’entendez-vous par « projet réussi » ?  

Bruno Servel – Un projet réussi est un projet qui répond aux objectifs de départ, par exemple sur l’utilisation d’éco-matériaux ou sur la performance énergétique. Un projet réussi est aussi un projet qui répond aux attentes des habitants, des usagers.

 

IK – Votre réseau a vraiment pour but de faire de la mise en relation, de faire du lien.

Bruno Servel – Oui, il s’agit de solidarité entre élus qui dépassent les clivages politiques. Mais le fil conducteur de Bruded est bien le développement durable, ce qui permet d’agréger à la base, des communes qui ont cette même conviction que le développement durable doit être un moteur pour leur commune.

 

IK – Comment les techniciens des communes s’inscrivent dans tout cela ?

Bruno Servel – Parfois, des visites ou des rencontres thématiques sont ouvertes aux agents des communes. Par exemple, lors d’une rencontre autour du bio dans les cantines, forcément nous associons les cuisiniers. Ce sont souvent eux les moteurs sur ces projets. Pareil si on parle de gestion différenciée et zéro phyto des espaces verts, les agents sont mobilisés. Les agents ont aussi besoin de rencontrer leur homologue, de voir les projets qui ont été fait ailleurs.

 

IK – Au-delà du développement durable, pensez-vous que ce réseau aide sur des problématiques autres liées au fonctionnement de la commune ?

Bruno Servel – Oui, de manière indirecte. Il y a des liens qui se créent entre les gens, entre certains DGS. Je pense que c’est surtout le rôle de l’interco, mais il y a des collaborations qui se mettent en place.

 

IK – C’est intéressant ! Dans les cinq prochaines années, est ce que vous pensez que le rôle du maire de petite commune va évoluer ?

Bruno Servel – Oui, et c’est notamment lié à la volonté des habitants de s’impliquer de plus en plus dans les projets et d’en être informés. Prenons par exemple la commune de Trémargat, 200 habitants, centre Bretagne, commune agricole qui a le lus fort taux de vote pour les verts. Leur fonctionnement démocratique est assez particulier depuis trois ans : le maire ne se représente jamais et c’est une liste ouverte. Les habitants se regroupent et définissent collectivement un programme. Tous ceux qui sont d’accord avec le programme sont candidats. Les habitants choisissent leurs élus alors parmi les candidats qui se sont positionnés sur ce programme. Ce sont aussi les habitants qui décident des projets et les élus se positionnent comme des accompagnateurs.

Je crois que c’est vers là que va aller le rôle du maire et de l’équipe municipale. Il est fini le temps où l’on décide d’un projet à deux ou trois à huit clos avec une démarche participative qui consiste simplement à présenter le projet déjà décidé. Cependant, cette démarche doit être modulable : certains requiert des démarches participatives moins poussées. C’est embêtant, car certains élus estiment qu’ils se sont engagés pour décider, pour avoir des responsabilités et pour trancher. Je pense que c’est une réflexion à bien prendre en compte avant de se présenter.

 

IK – Pourquoi certains élus se retrouvent dans cette posture de tension alors qu’ils ne le voulaient pas ?

Bruno Servel – C’est de voir que cela se fait ailleurs et que cela fonctionne, que cela créé une dynamique. Et puis, dans tous les appels à projet, il y a maintenant ces critères de participation collective. Par exemple, pour être lauréat de l’appel à projet Centre Bourg, il fallait démontrer que la commune était engagée dans une démarche participative.

 

IK – D’accord. Si vous vous projetez dans 10 ans, quel serait le rôle joué par le maire au sein de cette démocratie locale ?

Bruno Servel – Je crois qu’il serait dommage de supprimer la fonction de maire, car c’est un vrai échelon de proximité. La proximité se construit petit à petit et les intercos sont trop grandes pour cela. Il faut conserver des fonctions qui soient reconnues par les habitants comme étant les garants de la proximité. Et cela peut s’incarner à travers la figure du maire.

Cela n’empêche pas que le fonctionnement des petites communes puisse changer, notamment en termes de mutualisation avec ses communes voisines, comme des agents et des services d’aide partagés.

 

IK – Et comment aura évolué Bruded dans 10 ans ?

Bruno Servel – Idéalement, si Bruded n’existait plus, ce serait formidable. Cela voudrait dire que ses objectifs ont été atteints et que tout le territoire s’est engagé dans le développement durable, la protection de la biodiversité et des énergies. Mais je n’en suis pas certain.

 

IK – Même si cela arrive, est-ce qu’il n’y aura pas toujours besoin de ce support pour continuer à brasser les connaissances ?

Bruno Servel – Si, bien sûr. Et puis je pense que les élus et les communes ont besoin d’être ensemble. On a besoin de sortir de chez soi et de voir comment cela se passe ailleurs.

 

IK – Est-ce que cela ne pourrait pas passer par l’AMF ?

Bruno Servel – Non, Bruded est plus proche de l’Association des Maires Ruraux de France (AMRF). Mais cette association défend surtout les intérêts des communes rurales, en termes d’accès aux services par exemple. Bruded, c’est finalement assez à part. Il va y avoir une nouvelle génération d’élus qui va arriver, plus jeunes, plus connectées. Nous aussi, nous allons devoir adapter nos pratiques, pour répondre aux nouveaux comportements et aux nouvelles attentes des élus.

 

Pour aller plus loin…

La suite des interviews #2 et #3 :

> #1 : Bassem Asseh, adjoint de la maire de Nantes, chargé du dialogue citoyen, juin 2019

> #2 : Samuel Gautier, géographe prospectiviste, associé FuturOuest, juin 2019

EN SAVOIR + : travaux du groupe démocratie locale 2032