Cours après moi que je t’attrape !

Paru dans la Tribune Libre #14
juillet 2007

 

Il y a une tradition française bien ancrée, celle du soutien sans faille aux concepts dépassés, voire disparus. Nous semblons toujours courir après le passé, si glorieux fut-il. Les débats nationaux de l’élection présidentielle ont assez bien illustré ce phénomène. La carte scolaire est contournée, ignorée, piétinée depuis longtemps mais il faut organiser sa défense car elle serait menacée… L’Université (hormis les disciplines médicales) est dévalorisée au point que tous les professeurs de lycée déconseillent formellement à leurs élèves de s’y inscrire mais n’y touchons surtout pas car les fondements de la République seraient en danger ! La mixité sociale agrémente les discours politiques de tous bords même si le simple examen des faits démontre que plus personne n’en veut. Chacun se gargarise de la République et de la citoyenneté, sans toujours bien saisir que la Révolution française a déjà largement fêté son bicentenaire, ce qui n’en fait plus tout à fait une jeunesse. La démocratie participative est sur toutes les lèvres, sans qu’on réfléchisse bien à ce qui est peut-être un pléonasme. Le meilleur exemple est sans doute celui de la fameuse restauration de l’autorité : le nouveau Président de la République voudrait  que les élèves de chaque classe se lèvent à l’entrée du professeur. Certes… mais beaucoup d’enseignants pourraient lui rétorquer :  » encore faudrait-il qu’ils soient assis !  »

C’est comme ça, c’est le charme français. Nous avons décidé une fois pour toutes que, chez nous, l’excellence était innée et éternelle : nous avons, une fois pour toutes, la meilleure télévision du monde, la meilleure sécurité sociale, la meilleure médecine, la meilleure éducation. Tout est meilleur, forcément meilleur, et il faut donc organiser les lignes de défense (depuis Maginot c’est une spécialité) de nos fleurons. Et tant pis si, derrière le rideau, la scène est vide…

Localement, une grande énergie est ainsi consacrée à la lutte contre l’étalement urbain. L’horreur absolue résiderait dans un territoire qui s’étendrait tellement qu’il faudrait le contenir de toute urgence, faute d’en perdre le contrôle et les moyens de sa gestion. Le qualificatif le plus horrible est alors celui de « ville à l’américaine », en application du principe selon lequel tout ce qui vient des USA a un parfum un peu malsain. Bien sur, cet étalement coûte cher en transports et en services aux habitants mais l’ennui c’est… qu’il existe déjà et que nous dépensons  une énergie folle à lutter contre une évidence plutôt qu’à essayer de la prendre intelligemment en compte.

Pour combattre le monstre, nous avons inventé un mot magique : la « densification ». Évidemment, ce mot fait fuir tout le monde mais il s’étale (lui aussi, décidément) à longueur de documents technico-politiques. Il faut densifier, concentrer quand tout le monde ne pense qu’à avoir un peu d’espace, un peu d’air. Quand on a envie de bien-être, on a plutôt tendance à s’étaler qu’à se serrer (encore que…) ! Les études les plus récentes (cf celles du démographe Hervé Lebras) mettent en lumière ce besoin d’espace avec le phénomène actuel du repeuplement des campagnes. Mais, pas d’inquiétude à avoir, la nécessaire lutte contre la désertification rurale continue !

Les édiles locaux, de toutes couleurs et dans toutes les régions, appellent ça « bâtir la ville de demain », sans s’apercevoir qu’elle est parfois déjà là depuis… hier

Évidemment, il y a toujours un peu de démagogie (spécialité tout à fait internationale) à ce petit jeu intellectuel. La gestion publique a ses contraintes, notamment financières, mais un certain nombre de gains pourraient sans doute être réalisés en économisant l’énergie dépensée à courir après des concepts disparus. Les conservatoires sont indispensables mais la modernité exige parfois qu’on prenne un peu l’air.