Si tu avais le temps

Paru dans la Tribune Libre #38 (pdf, 589.49 Ko)
octobre 2010

Desserrer les taux

Après des vacances superbement remplies où tu as pu bénéficier d’une offre promotionnelle dans un camp de vacances avec visites guidées et activités sportives ou culturelles ingurgitées au rythme d’un « forfait prestations », tu as retrouvé une boite mail archi pleine, des factures à traiter, les courses de rentrée des enfants à assurer, et beaucoup d’autres réjouissances qui pourraient même te détourner de ton unique but : être compétitif, garder ton allure jeune en restant prévoyant pour ta santé et celle de tes proches. Tu as l’impression qu’il te faut courir de plus en plus, simplement pour faire du surplace, juste pour ne pas tomber du monde du travail et ne pas disparaitre dans la pauvreté, l’oubli et la désocialisation.

Tu sais que le monde change très vite. Certains disent que tu devras faire plusieurs métiers dans ta vie. Mais tu ne sais plus si le changement ne se conjugue pas déjà dans l’instant et si les occupations rémunérées que tu essayes de conserver peuvent encore être qualifiées de «métiers» ! Tes enfants «twiterisés» ou «facebookés» te reprochent de ne pas assez les voir, eux qui «dialoguent» avec leurs «amis» du monde entier sur les mérites comparés de leurs existences virtuelles.

Ah, Jean-René ! Tu ne sais pas où la vague te porte. Tu essayes seulement de surfer dessus même si tôt ou tard elle finit toujours par claquer. Tu sais bien que l’on te propose d’acheter instantanément tant de choses qui ne sont pas encore produites et qui, parfois, ne le seront jamais. Tu sais aussi qu’en politique le candidat victorieux n’est plus celui qui présente les meilleurs arguments ou le meilleur programme, mais celui qui sera doté des images les plus frappantes.

Le temps a anéanti l’espace

Le temps a anéanti l’espace, Jean-René. Tout est devenu si proche et pourtant inaccessible. Mais ne t’inquiète pas ; la modernité trouve des solutions pour tout et l’implantation d’un micro-processeur dans le cerveau ou dans le corps devrait permettre de régler le léger problème de synchronisation et aider l’homme à se « reconnecter » à son environnement. Ce qui te reste d’autonomie aura alors disparu. La nécessité de l’élaboration de consensus politiques dans une société pluraliste sera rangée au rang des accessoires. Mais en a-t-on réellement besoin pour concurrencer la Chine, alors qu’il nous suffit de l’Opium du Bund et de l’Ordre de Tian An Men ?

Si tu avais le temps, Jean-René, tu aurais pu écrire quelques lignes pour la Tribune Libre de l’Institut Kervégan. Tu as tant de choses à dire que tu n’arrives pas à formuler de façon cohérente comme le nécessiterait la transcription fidèle de ta pensée. Et de toutes façons personne n’a le temps de t’écouter.

Il faut s’y résoudre, Jean-René. Nous accélérons sans rémission et fonçons tous dans le mur. Nous n’avons plus le choix. A la peur absolue, nous devons opposer l’espérance absolue.

Churchill ne disait-il pas que l’optimiste est quelqu’un qui voit une chance derrière chaque calamité!!!

Billet librement inspiré des études de Paul Virilio sur la vitesse et de l’essai du sociologue allemand Hartmut Rosa «Accélération» (Editions la Découverte), qui donnent peut-être un début d’explication au «court-termisme» vilipendé par JL Servan-Schreiber (cf Tribune Libre #37 juillet/août 2010) et au comportement de la génération « Y » (cf Tribune Libre #36 mai/juin 2010)