Dis Papi c’etait quoi l’Euro ?

Il était une fois la dette …

 

Paru dans la Tribune Libre #44 (PDF, 539 Ko)
Décembre 2011

Auteur : Raoul WOLFAUX

 

Dis Papi c’était quoi l’Euro ? Alexandre le petit fils de Raoul prénommé ainsi en souvenir de Zinoviev, sortit une pièce doucettement oxydée d’une boite à chaussures un peu avachie qui, il y a longtemps, avait contenu les bijoux de famille. Raoul se gratta le nez pour se donner l’air inspiré et lâcha dans un souffle : « Une utopie mon petit bonhomme, une vraie utopie ».

Le gamin écarquilla les yeux ne comprenant pas le mot. Raoul précisa : « une utopie c’est une sorte d’illusion mais qui ne se réalise pas, qui rate complètement alors qu’on y croit dur comme fer et pour qui on a sacrifié jusqu’à sa chemise ». Il se leva, malgré l’arthrose, du fauteuil aux ressorts épuisés et sortit de la masure.

Ah oui ! On en avait fait du foin autour de cette blague. Et puis il y avait eu la « Krise » dont Raoul avait dressé un rapport pronostique fidèle dans la tribune de l’Institut Kervégan. Même pas la notre de Krise d’ailleurs, mais elle avait eu le mérite de démasquer la faillite en gestation. Il faut dire qu’on avait fait fort. Les banquiers et économistes européens avaient été les premiers au monde à faire croire qu’il était possible de faire toute une monnaie à destination de 450 millions de personnes sans le pays qui allait avec. Ils en étaient très fiers mais le boniment était tombé dans des oreilles avides de croyances farfelues, par exemple que le vieux continent était le centre du monde et qu’il l’était tellement qu’on pouvait s’affranchir de toute règle, de tout protectionnisme en même temps que de tout avenir, de toute innovation et même de l’enseignement primaire, élémentaire et supérieur. Les autres étaient tellement bêtes, ressemblaient tellement peu aux êtres supérieurs que nous étions, croyaient tellement mal aux incantations divines…. Quand ils nous ont envahis avec leurs tee-shirts à 4 sous on leur a cloué le bec en leur filant les airbus. Nous on se contenterait désormais d’écrire les modes d’emploi et de regonfler les pneus aux normes. Nous nous réservions ainsi le côté noble des choses, la loi et la règle. Fini le cambouis. D’ailleurs gonfler ça nous connaissait : on gonflait l’Afrique, l’Amérique, la Russie et l’Asie et même le Lichtenstein. Après avoir pondu la bible, le catéchisme et les normes sur le fromage au lait cru, on n’arrêtait pas de vouloir être lisibles. Grupier ! Grupier tout le monde, on va nous voir de loin et comme on est le centre du monde le reste va diminuer mécaniquement jusqu’à devenir invisible.

Bon, ça n’a pas bien marché parce qu’on n’était pas le centre du monde et que celui-ci n’était pas plat avec le néant autour, comme nous l’espérions en cachette, mais sphérique et que le soleil éclairait avant tout l’orient.

C’était bien connu d’ailleurs, il aurait suffit de regarder : L’Égypte avait inventé les pyramides quand nous industrialisions les menhirs, la Chine était un empire quand l’Europe était ravagée par la peste et le choléra – et le soleil levant est à l’est, même en Bretagne. D’ailleurs le mot orienter vient de là. Et puis nous n’avons jamais été lisibles non seulement parce que nous étions trop petits – après tout les diamants le sont aussi – mais surtout parce que personne ne voulait acheter le bouquin. La Chine a inventé l’idéogramme et l’Égypte le hiéroglyphe c’est-à-dire des concepts et nous le baratin. Puisque nous voulions la mondialisation nous allions l’avoir : après avoir voulu faire l’Europe à coups de canons puis à coups d’Euros et de normes, nous avons réussi en deux ans à brader le berceau de la civilisation mais pas au sens territorial, au sens financier, ce qui parait moins mais est bien plus. Et il va en aller de même de toute l’Afrique, berceau de l’humanité cette fois : j’entends hier encore un hiérarque qui déclarait en gloussant sur les ondes qu’il n’y avait aucun risque car 10000 chinois faisaient bien peu sur un si grand continent. A combien se monte la communauté chinoise en Grèce ? Il aurait dû relire ou sans doute lire l’histoire de la Chine. Elle n’a jamais été impérialiste en dehors de ses frontières, car elle sait trop ce que trop grand veut dire, mais a inventé le commerce.

En plus nous inspirions la méfiance : en 70 ans nous avons provoqué la mort violente de 82 millions de personnes, sans compter les morts révolutionnaires et coloniaux. Avec des références pareilles nous étions de puissants vendeurs d’armement mais les canons ça ne se mange pas et la peur n’a jamais généré de confiance. D’ailleurs en y regardant bien l’Europe au sens géographique du terme n’a que rarement été une terre de prospérité et de leardership philosophique, dans l’antiquité, avant et après la révolution industrielle et encore pas pour tous et en dehors des périodes de conflits.

Et puis quand les autres européens avaient Spinoza et Hobbes, en France nous avions Descartes. Il a inventé la logique et fait exactement l’inverse avec, son côté féminin sans doute, au point de mettre de la spiritualité dans tout. Nous avons fait la même chose avec les universités. Universelles, libres, libérées de tout pouvoir au moyen-âge elles ont sélectionné ensuite les intelligences avec des moyens idiots, puis acceptant les projets de recherche à condition qu’ils décrivent les résultats avant de faire la moindre expérience.

Enfin des hiérarchies se sont auto-instituées, sous le regard attendri de tous et sur un modèle chimérique de Clochemerle et du temps des copains, dirigé par des Aldos syrtiques échoués dans des bunkers de fin de règne.

En plus de la lisibilité simplificatrice nous avions la gestion réductrice. La bio diversité disparaît ? Ce n’est ennuyeux que pour les pingouins et les grenouilles. Pas grave pour les enseignements, les idées, la recherche, et autres guignoleries : nous on a la gestion. Et sans elle qui sait si nous aurions seulement la masure en ruine qui nous reste après l’augmentation des prix, de tout, qui a ravagé l’Europe, une seconde fois après l’euro, lors du rétablissement de l’ancien franc ?

Bon je vais ramasser un peu de bois en plastique dans la forêt pour raviver la flamme….