MOOC: « Honnête homme » v2.0

Par Gaël BERNICOT
Tribune Libre #54, février 2014

 

Un accès au savoir libre, connecté et distribué, telle est la promesse des MOOC (Massive Open Online Course – Cours en ligne ouvert et massif). Les premières expériences permettent d’entrevoir l’incroyable potentiel de ces outils qui semblent présager un changement profond de la façon d’apprendre. Alors, révolution ou évolution ?

Qu’apprend-on ?

Avant d’évaluer l’impact des MOOC sur la façon d’enseigner dans le futur, il faut interroger la notion d’apprentissage. A minima, on peut distinguer les savoirs (l’accumulation d’information), les savoir-faire (la capacité de mettre en œuvre, de réaliser) et les savoir-être (la maîtrise des codes et techniques qui permettent de s’harmoniser à un groupe).

Que ce soit une discipline, un métier ou un domaine, tout apprentissage relève d’un mélange variable de ces trois composantes. C’est le cas dans les disciplines les plus abstraites comme la philosophie dans laquelle le large savoir livresque du philosophe ne peut porter ses fruits qu’à travers son savoir faire-dialectique et son savoir-être face à la vie. C’est également le cas dans les disciplines les plus pratiques. Que serait le savoir-faire de l’ébéniste sans son savoir concernant les bois et leurs propriétés ?

Comment apprend-on ?

L’être humain utilise plusieurs méthodes d’apprentissage.

La transmission d’informations par le langage permet de transmettre les grandes idées et les concepts d’un domaine de savoir. Cette transmission d’informations peut être orale ou écrite. L’oral est premier, il est spontané et facile à produire mais ne permet de passer des informations qu’à un débit assez faible. L’écrit est plus long à produire mais il permet une transmission d’informations beaucoup plus rapide. Une demi-heure de discours tient sur une page A4 lue en deux minutes.

La démonstration est un autre moyen d’apprentissage. Elle est particulièrement adaptée aux savoir-faire pratiques. Elle se fonde sur notre capacité de primate d’observer et d’imiter les gestes. Avant les MOOC, il était déjà possible de profiter de l’alliance d’internet et de la vidéo pour observer et acquérir des tours de main. Pour apprendre à changer une roue de vélo, il suffit de faire une recherche sur Youtube.

L’expérience enfin, permet de dépasser le langage et la simple observation. C’est la succession des résolutions de problèmes qui provoque l’apprentissage.

Au-delà de la sphère individuelle, l’interaction suscite l’apprentissage, que ce soit avec un sachant ou avec un groupe de pairs. Elle permet d’adapter les échanges au sein du groupe et d’améliorer l’adéquation de l’enseignement aux besoins et à la personne de celui qui apprend. Seul l’exercice d’interactions permet l’apprentissage de savoir-être dans les activités collectives.

Le MOOC : encore des limites

Le concept de MOOC est émergeant mais les première expériences semblent partager les caractères suivants :

  • L’apprentissage repose sur la vidéo, que ce soit des cours filmés ou des animations plus sophistiquées.
  • Le concept de média de masse (Massive open online course) y est important.

Dans ces conditions, on comprend que ces outils sont extrêmement performants pour ce qui concerne la transmission d’information par le langage (plutôt au débit faible de l’oral) et la démonstration de savoir-faire.

En revanche, en l’attente d’innovations dans ce domaine, l’expérience directe y est pauvre (mais n’est ce pas le cas de toute notre « vie » numérique ?) et l’interaction reste réduite.

Le MOOC a aujourd’hui la puissance d’un amphi géant dont on peut améliorer l’attractivité par le montage et l’animation. Il est très efficace pour transmettre le savoir, il est parfois efficace pour certains savoir-faire et reste assez limité pour ce qui concerne le savoir-être.

Le MOOC, une technologie complémentaire pour l’enseignement.

Il est erroné d’opposer un enseignement « traditionnel » dépassé et les MOOC qui seraient censé le remplacer.

L’enseignement actuel est déjà le résultat d’un processus d’hybridation technologique pluri-millénaire. Un étudiant en faculté se rend en cours magistral (technologie du cours excathedra – Sorbonne – XIIIème siècle), travaille sur un manuel (technologie de l’imprimé industriel – XIXème siècle) puis se rend en travaux dirigés pour s’exercer à la résolution de problème en petits groupes sous la supervision d’un enseignant (Technologie du Lycée grec – IVème siècle avant JC). Le même étudiant peut être amené à réaliser un projet d’étude, ce qui le rapproche du chasseur paléolithique s’essayant à la taille de son premier biface en silex.

Les technologies d’apprentissage ne s’excluent pas, elles se complètent.

« L’honnête homme » numérique

En s’ajoutant aux anciennes technologies d’apprentissage, le MOOC ouvre sur une nouvelle dimension de l’enseignement.

Cette technologie permet d’accéder à une audience jamais égalée dans aucune forme de cours, à un coût très faible. Avec le MOOC, la taille de l’amphithéâtre est illimité et une fois le coût fixe de la production de contenu supporté, le coût variable par étudiant devient quasi nul. Même si ce n’est que pour certaines formes d’apprentissage, le MOOC fait sauter un verrou économique à coup de rendements économiques croissants.

Le MOOC abolit aussi les contraintes de distance, plus besoin d’être dans un établissement pour suivre le cours.

Le MOOC abolit les contraintes de synchronisation. Le cours magistral une fois capté et mis en ligne peut être suivi n’importe quand, sans contrainte de planning. Grâce au MOOC on glisse du synchrone à l’asynchrone.

Ces trois évolutions favorisent une diffusion de savoirs à une échelle jamais atteinte. Le MOOC devient un outil extraordinaire pour éduquer l’ « honnête homme » du XXIème siècle dans un monde complexe et changeant. Cet outil peut contribuer à résoudre le paradoxe des systèmes éducatifs traditionnels dénoncé par Thierry Patrice : le temps total de formation financé croît moins vite que la population, aboutissant à une baisse tendancielle de l’investissement éducatif par habitant de la planète.

Asynchrone, accessible partout, peu cher, le MOOC introduit une fluidité dans l’accès à l’apprentissage qui s’adapte aux nouveaux modes et rythmes de vie. La formation initiale n’est plus que le départ d’un parcours de formation qui se poursuit de façon différenciée tout au long de la vie de l’individu.

Repenser l’éducation – intégrer les MOOC.

L’efficacité du MOOC dans certains domaines doit amener à repenser la pédagogie et l’usage de technologies complémentaires.

Un cours magistral mobilise un professeur pour s’adresser à 200 étudiants et ce cours se répète avec parfois de faibles variations d’année en année. Remplacer ce cours par une conférence MOOC libère l’enseignant qui peut se concentrer sur d’autres formes plus interactives ou complexes de transmission.

L’usage de plusieurs techniques complémentaires peut faire émerger de nouveau usages. Par exemple, la diffusion en ligne d’un cours magistral enregistré pourrait être accompagné par un accès en messagerie instantanée à des professeurs réagissant aux questions des étudiants. On donnerait ainsi de l’interactivité et de la personnalisation à une forme de transmission qui en manque traditionnellement.

Seule l’expérience d’usages émergents permettra d’apprendre comment apprendre avec les MOOC. Ils sont une source d’évolution majeure et imprévisible mais que la communauté éducative doit et peut s’approprier.