Opus 1 : Regards sur une politique culturelle

par Gwenaël BOIDIN – Octobre 2013

 

Le Voyage à Nantes… et après ? L’émergence d’une politique évènementielle à Nantes

Des Allumées au Voyage à Nantes

Au lendemain de la seconde édition du Voyage à Nantes, il est relativement difficile de porter un regard critique sur la manifestation et la stratégie mise en oeuvre par la Ville de Nantes en matière de développement touristique et culturel sans revenir sur ses prédécesseurs (Les Allumées, Le Lieu Unique, Estuaires…).

Jean-Blaise, initiateur de l’ensemble de ces projets, estime lui-même que le Voyage à Nantes constitue l’aboutissement d’une stratégie de développement culturel pour la ville de Nantes.

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De la culture pour tous à la culture de niche ?

Au-delà des évènements et des projets, ce sont également plusieurs stratégies de développement touristique et culturel qui se sont succédées sur le territoire. La Ville de Nantes est ainsi passée dans les années 90 avec le festival des Allumées d’une démarche de démocratisation culturelle à une stratégie de niche dans les années 2000, avec la biennale d’art contemporain Estuaire et le Voyage à Nantes.

Les évolutions de la stratégie de développement culturel de la Ville de Nantes et notamment sa déclinaison évènementielle sont à relier, à notre sens, à l’ensemble des réflexions et des études qui ont pu être menées depuis la fin des années 90 sur la démocratisation culturelle et l’impact des politiques culturelles sur les Français et les publics. À titre de rappel, les différentes orientations de la politique culturelle française ont été les suivantes :

  • La démocratisation culturelle : À partir des années 60, André Malraux alors ministre des Affaires culturelles va initier une double dynamique de développement culturel : d’une part une décentralisation des politiques culturelles et d’autre part, une tentative de démocratisation de la culture. Un outil va à notre sens illustrer cette volonté, les maisons de la culture. Cet outil avait pour vocation de permettre à l’ensemble des citoyens de rencontrer l’art et les artistes sans a priori.
  • La culture plurielle et le tout culture : À partir de la fin des années 80 et de l’entrée en fonction de Jacques Lang au ministère de la Culture, la politique culturelle française va progressivement se repositionner sur une approche festive de la culture en comparaison de l’approche pédagogique des précédentes politiques. L’introduction de la notion du « tout culture » va également progressivement introduire une notion plus large d’économie de la culture.
  • L’abandon des politiques culturelles : différents historiens de la culture estiment, à tort ou à raison, que depuis la fin des années 90, la stratégie de développement culturel initiée au niveau national s’est progressivement délitée au profit d’une gestion quotidienne de la culture et de son économie. Cette période constitue également l’avènement de la culture de masse.

Pour revenir au cas de Nantes, Jean-Blaise, l’un des maitres d’œuvre de la politique culturelle nantaise, le précise d’ailleurs, les démarches initiées dans le cadre des Allumées puis du Lieu Unique se sont inscrites tout naturellement dans la filiation des maisons de la culture imaginées par André Malraux et par conséquent dans la politique nationale de démocratisation culturelle ou de culture pour tous. Progressivement en parallèle de l’abandon de la notion de démocratisation culturelle, la stratégie développée par le Lieu Unique s’est progressivement réorientée vers une politique de diffusion culturelle ambitieuse.

L’échec de la démocratisation culturelle a ainsi amené Nantes, à l’image des autres agglomérations françaises, à s’orienter progressivement vers un public de spécialistes ou de passionnés d’art contemporain, abandonnant par la même occasion le grand public.

L’introduction de la commande politique : Estuaire et Le Voyage à Nantes

Le développement de la manifestation Estuaire 2007- 2009 – 2012 puis de la manifestation du Voyage à Nantes est le fruit de commandes politiques fortes de la Ville de Nantes. Ces manifestations ne relèvent pas d’une stratégie de développement culturelle d’ensemble. La culture est devenue à ce moment-là un outil d’aménagement du territoire et de valorisation de Nantes à travers la France et l’Europe.

Une analyse détaillée des stratégies et des objectifs fixés par ces évènements (renforcement de l’identité de la métropole Nantes-Saint-Nazaire, assises du projet de l’île de Nantes…) confirme ce constat, la culture constituant dans ce cas un support de communication et de valorisation des politiques mises en œuvre par la Ville de Nantes.

L’aménagement de l’île de Nantes est certainement l’une des illustrations les plus marquantes de cette évolution de la politique culturelle nantaise vers l’accompagnement des mutations du territoire et notamment celle de l’aménagement du territoire.

Une stratégie qui interroge

Au regard de l’évolution de la stratégie culturelle nantaise, l’Institut Kervégan a été amené à s’interroger sur un certain nombre d’éléments :

Estuaire et Le Voyage à Nantes : quelles différences ?

Lors de la période estivale 2012, Nantes a accueilli de fait simultanément deux manifestations à vocation culturelle et touristique : Le Voyage à Nantes et la dernière édition d’Estuaire initialement prévu en 2011.

Cette superposition de manifestations qui s’expliquent à la fois pour des raisons budgétaires et des raisons de calendrier, a vraisemblablement eu pour effet de créer une confusion dans l’esprit des visiteurs et des Nantais. Parmi les questions que nous pouvons nous poser :

  • Estuaire 2012 s’inscrivait-elle encore dans le prolongement des précédentes éditions ?Autant l’objectif de la manifestation Estuaire, à savoir le développement de l’identité Nantes-Saint-Nazaire, se retrouvait dans les deux premières éditions du fait de l’implantation d’oeuvres le long de l’estuaire de la Loire et de l’implication des communes dans la démarche autant dans le cas de la troisième et dernière édition, la mise en valeur de l’estuaire de la Loire semble avoir été négligée.En effet, la manifestation Estuaire 2012 a concentré l’essentiel de ses actions (installation d’œuvres) sur la ville de Nantes et la métropole nantaise. L’unité territoriale du projet n’était, par conséquent, plus existante.Les relations avec les autres communes de l’estuaire impliquées dans le projet et notamment la Ville de Saint-Nazaire semblent avoir été relativement inexistantes lors de la dernière édition d’Estuaire, en atteste l’absence d’information sur la programmation nazairienne dans les documents de communication (en dehors des œuvres pérennes).
  • Quelle(s) œuvre(s) est quel(s) projet(s) relevaient de la manifestation du Voyages à Nantes ?
    Dans le prolongement de la précédente observation, il semblait en effet relativement complexe d’identifier les projets portés dans le cadre d’Estuaire de ceux du Voyage à Nantes.Les actions de communication ont en effet privilégié de fusionner les deux évènements sous une seule et même dénomination Le Voyage à Nantes sans assurer de distinction entre les œuvres et les projets. Au-delà d’être problématique, ce choix souligne, à notre sens, l’abandon du projet Estuaire et de la dynamique qu’il avait pu soulever au cours de ses précédentes éditions auprès d’une clientèle d’amateurs d’art contemporain.

Le Voyage à Nantes : une marque touristique et culturelle pour Nantes

Dans le prolongement de ces interrogations sur les liens entre Le Voyage à Nantes et Estuaire, nous pouvons également nous interroger sur l’articulation entre la seconde édition du Voyage à Nantes et les évènements organisés dans le cadre de Nantes Green Capital.

Avec cette seconde édition du Voyage à Nantes, la stratégie culturelle de la Ville de Nantes ne s’est-elle pas inscrite davantage dans une démarche de développement d’une marque de territoire porteuse de l’ensemble des évènements culturels et touristiques de la ville de Nantes ? Le Voyage à Nantes ne serait-il pas uniquement devenu un coordinateur des actions de communication de l’ensemble des évènements organisés sur la ville de Nantes et non pas un moteur de la politique culturelle et touristique ?

Les perspectives pour demain…

L’observation de l’ensemble de ces évolutions, la fin d’un cycle en matière de développement culturel et touristique, nous amène à nous interroger sur les perspectives de développement culturel de la ville de Nantes et de l’agglomération pour les prochaines années.