Groupe de réflexion Transition Énergétique

Audition d’expert : La transition énergétique chez Atlantique Habitations

Rencontre avec Stéphane Scialom, Directeur Habitat et Patrimoine chez Atlantique Habitatons*

 

IK : Depuis combien de temps Atlantique Habitations est engagé dans des actions en faveur de la transition énergétique et comment cela se manifeste-t-il concrètement ?

S. Scialom : On peut dire que nous avons amorcé cette démarche depuis une douzaine d’année. La norme de l’époque, RT 2005, était loin de l’exigence des normes actuelles. Nous nous sommes rapidement engagés à relever cette exigence en BBC RT 2005. A l’époque j’ai monté une équipe pluridisciplinaire composée d’un architecte, d’un sociologue et d’un bureau d’étude fluide afin de trouver les bonnes solutions pour répondre aux exigences du BBC RT 2005. J’ai voulu associer un sociologue à cette réflexion car nous nous sommes rendu compte qu’il était primordial de penser l’usage avant tout. Le risque était trop grand de tomber dans le piège de la « boîte trop technique ». Nous avons donc mis en avant les usages à l’intérieur du logement, la qualité de vie, le plaisir et l’intégration dans l’environnement direct. L’enjeu était de trouver un bon compromis entre performance technique et intégration dans l’environnement tout en conservant l’usage et en anticipant les besoins de demain. Aujourd’hui nous sommes passés de la norme BBC RT 2005 à la norme BBC RT 2012. Cette norme va évoluer en 2020 avec un niveau d’exigence de plus en plus performant.

IK : Quels sont les principaux enjeux de la transition énergétique dans le logement pour Atlantique Habitations ?

S. Scialom : On sait que le bâtiment dans son ensemble est le plus gros secteur de dépense d’énergie avec 45 % de dépenses. Nous nous devons donc d’avoir des bâtiments économes. Un double objectif pour Atlantique Habitations est de permettre aux locataires de réduire au maximum leurs charges mais aussi d’agir sur une maintenabilité et une pérennité des produits utilisés. Contrairement à un promoteur, nous sommes dans une logique de budget global, coût d’investissement plus coût d’exploitation. On peut surinvestir sur un équipement pour une façade par exemple mais on sait que ce choix va être gagnant au final car ces matériaux se changent tous les 30 ans plutôt que tous les 15 ans. Nous essayons de penser nos bâtiments sur le long terme, l’objectif étant de diminuer les coûts d’exploitation pour le gestionnaire de demain.

Un des enjeux principaux pour arriver à une forte performance énergétique des logements c’est d’abord de faire un bâtiment passif. Il ne s’agit pas de mettre de l’énergie renouvelable dans un premier temps. L’objectif de performance ne doit pas être attient par le renouvelable, il est préférable d’abord de construire un bâtiment inerte, parfaitement performant, capable ensuite d’accueillir correctement les énergies renouvelables.

Les enjeux politiques et les attentes des collectivités au sujet de la performance énergétique dans le logement nous ont appris que les solutions les plus visibles comme le bardage bois ou les panneaux photovoltaïques ne sont pas toujours la bonne solution.

Le choix de l’énergie renouvelable pour notre secteur est la question principale. Il est important pour faire ce choix de bien comprendre l’environnement dans lequel on produit et où l’on se développe pour activer les bons leviers. La qualité et la performance dépendent avant tout du choix du foncier et de son orientation. Nous nous sommes effectivement rendu compte de l’importance des choix qui sont fait par les aménageurs dans l’orientation du foncier, son impact sur la performance énergétique est très important.  Il faut également étudier les potentialités et les contraintes mais sans oublier l’usage. Réaliser une construction c’est un prototype nouveau à chaque fois, il n’y a pas de solution toute faite.

La démolition est également un véritable enjeu à prendre en compte. Est-ce qu’on doit démolir ? Le bâtiment peut-il être réhabilité ? Un promoteur ne se posera pas toutes ces questions. La plupart du temps il rase, dans une logique de rentabilité. Nous sommes dans une logique sociale. On peut être amené à mettre le même prix pour réhabiliter que pour faire du neuf parce que dernière ça a un sens. Notre enjeu en tant que bailleur social c’est de respecter ce qui est déjà construit et d’essayer d’optimiser en conservant le bâtiment quand c’est possible et que ça n’apporte pas trop de contraintes en terme écologique de réhabiliter.

IK : Par quelles actions répondez-vous à ces enjeux ?

S. Scialom: Les choix et les actions sont multiples. Il s’agit d’agir sur la gestion d’un patrimoine de 11000 logements mais aussi sur la construction de 500 logements neuf/ans.

En ce qui concerne la gestion du patrimoine, nous agissons sur plusieurs leviers : techniques, énergétiques, de confort, de charges des locataires et de gestion de l’amiante, vraie problématique pour les bailleurs sociaux aujourd’hui. On considère qu’il peut y avoir de l’amiante dans tout ce qu’on a construit avant 2000, entre 50 et 60% de notre parc. On s’oblige au-delà de la règlementation pour le traitement de l’amiante à faire des diagnostiques exhaustifs avant travaux sur l’ensemble de notre patrimoine. A fin mars 2019, nous avons la connaissance de la présence d’amiante ou pas et sa localisation. Il s’agit ensuite de faire des bons choix lors de la rénovation. Ces choix techniques pour le traitement de l’amiante ne sont pas neutres d’un point de vue énergétique. Soit on recouvre, soit on retraite. Cette dernière option demande de fermer des bâtiments, de reloger les locataires.

Afin d’atteindre ces objectifs de performance nous nous engageons à ne pas travailler avec des entreprises « au moins disant » car quand on tire les prix vers le bas, on met nos entreprises en difficultés financières. Elles vont donc trouver des solutions alternatives pas toujours avisées en termes de choix de main d’œuvre. On assiste alors à une perte de montée en compétences. Il faut que les maîtres d’ouvrage travaillent « au mieux disant » sur les critères suivants : 30% sur la garantie professionnelle, 20% sur la solidité financière, le prix ne pèse que 50% de la note de l’attribution de marché.

Nous prenons soin d’affirmer nos choix dans la construction du cahier des charges. Il ne s’agit pas que de fixer des objectifs mais également des contraintes (équipement, produits, méthodes). Nous réalisons un cahier des prescriptions à destination des architectes. Ils doivent non seulement respecter la loi en termes de PLU mais également respecter nos recommandations. Parce que notre choix est de gérer nos bâtiments sur 50 ans, ce qui implique de recourir à des produits pérennes, facilement maintenables et démontables.

Dans nos choix en terme énergétique : raccordement du bâtiment en gaz ou en électricité, quel avantage, quel inconvénient ? nous avons le souci constant de penser à la réversibilité. Il faut toujours pensez à l’étape deux : comment fait-on dans 30 ans ? Quelles seront les nouvelles sources d’énergies du futur ? Devra-t-on se chauffer au bois ou avec le retraitement de nos déchets ? Il faut donc penser aujourd’hui aux secondes vies à tous les niveaux. En faisant notamment en sorte que les déchets deviennent des ressources.

Dans la phase de réalisation de nos bâtiments on fait appel à des bureaux d’études en environnement pour s’assurer de la bonne mise en œuvre et des bonnes pratiques des entreprises partenaires. Notre volonté est de faire de vrais choix de garantie professionnelle. En fin de chantier, on mesure l’efficacité de nos entreprises, on les note d’une manière collégiale. Nous avons défini un cadre qui recouvre 15 critères. Ces notes sont enregistrées dans une base de données. Tous les 18 mois on efface la base pour permettre aux entreprises qui progressent d’être reconnues.

Aujourd’hui nous travaillons à perfectionner cet outil en prenant en compte la garantie professionnelle. L’expérience de l’entreprise sera prise en compte. On notera leur engagement notamment en termes d’encadrement, de formation de leur équipe, de sous-traitance…

C’est donc notre responsabilité de travailler sur des critères objectifs de « mieux disant » et non sur du « moins disant » pour assurer demain la pérennité des bâtiments.

Nos engagements en ce qui concerne la phase d’exploitation des bâtiments, il s’agit ici de regarder si on a atteint les bons niveaux de performance que nous avons définis. Pour cela nous proposons d’accompagner les habitants sur un temps donné pour réfléchir avec eux sur comment se comporter différemment et leur expliquer les spécificités d’un bâtiment performant. Quels avantages mais aussi et surtout quel impact leur comportement peut avoir sur l’amélioration de la performance, la mise en avant des résultats positifs pour eux en termes de baisse des charges et pour l’environnement.

Pour une meilleur sensibilisation et prise de conscience, nous proposons de faire de la co-construction au niveau de l’accession ou de la réhabilitation avec la participation des locataires.

IK : Dans le choix de l’énergie pour vos bâtiments y a-t-il une grande tendance ?

S. Scialom : L’énergie n’est pas vraiment une question dans cette recherche de performance. Ce qui est vraiment important c’est que les choix soient réversibles. On ne peut pas savoir demain quelle sera la solution la plus adéquate. Être capable de prévoir la réversibilité par exemple de bâtiment de bureau en logement d’habitation. Se donner la capacité de pouvoir transformer facilement des logements pour répondre à l’évolution des usages (transformation de la famille, vieillissement…). En faisant par exemple évoluer un cinq pièces en 2 logements ou en mutualisant des espaces avec l’installation de laveries collectives.

IK : Rencontrez-vous des difficultés, quels pièges éviter dans la mise en œuvre de vos actions en faveur de la transition énergétique ?

S. Scialom: Nous rencontrons certaines difficultés dans la mise en œuvre de ces actions en faveur de la transition énergétique notamment en raison de problèmes dans la durabilité des matériaux, trop limitée dans le temps. Actuellement la durée de vie d’un bâtiment est estimée à 40 ans. On constate également un manque de compétences et de savoir-faire qui est de plus en plus marquant dans les entreprises même si c’est en train de se corriger au travers de formations ou d’expériences.

Nous avons pu observer grâce à la mise en place d’études fines des charges des locataires des effets pervers quant aux usages. En effet, quelques fois malgré l’ajout de performance, les charges ne diminuent pas voir augmentent. Le fait de moins consommer induit un comportement plus laxiste. Le locataire ne fait plus attention à sa consommation. Le comportement humain annule le bénéfice de la performance énergétique. D’autant plus qu’aujourd’hui la part des usages qui leur est propre explose. L’effort est donc avant tout de sensibiliser au bon niveau en facilitant la prise de conscience et la responsabilité du locataire. Il est difficile de contraindre les gens, on ne peut pas gommer les habitudes culturelles de chacun.


IK :
Avez-vous aujourd’hui les premiers résultats de cet engagement ?

S. Scialom : Nous avons un parc installé stable. Pour tous les bâtiments qui existent depuis 10 ans on va pouvoir basculer vers les énergies renouvelables. En ce qui concerne les bâtiments neufs, tous sont passifs utilisant de l’énergie renouvelable ce qui permet d’améliorer le niveau de performance.


IK :
Quels sont vos objectifs pour demain ?

S. Scialom : Nous menons une réflexion nouvelle sur l’urbanisme décarboné. Jusqu’à aujourd’hui lorsque l’on parlait de performance énergétique, on parlait seulement de l’aspect thermique et jamais du carbone. C’est tout le sens de la nouvelle règlementation de 2020 avec le « E+ » « C-». Elle prend en compte dans la mesure de la performance : La place du carbone, l’approvisionnement, la construction, la démolition du bâtiment et les traitements des déchets en systématisant les closes de chantiers propres. Aujourd’hui Atlantique Habitations se prépare à recevoir le label E+/C- avec des seuils de « 3 » en énergie et « 2 » en carbone.

Le véritable enjeu pour demain se situe au niveau de l’évolution de nos bâtiments. Comment on arrive à concevoir des bâtiments évolutifs, modulables pour faire face à l’évolution de la famille. Il faut se préparer et anticiper ce phénomène. Par exemple, nous développons un « service+ » pour accompagner et aider les locataires vieillissants, entretien des espaces verts et des logements. L’objectif c’est un maintien au domicile afin de leur permettre de vivre dans leur environnement habituel le plus longtemps possible.

Pour conclure, je dirais que notre objectif majeur est de miser sur l’accompagnement de nos locataires dans cette compréhension et l’utilité de la performance énergétique en changeant les habitudes de chacun. Nous mettons en place un accompagnement qui permet de communiquer sur l’impact bénéfique que l’habitant peut tirer grâce à une évolution de son comportement. Si on réfléchit le bâtiment comme une « boite technique », on se trompe. Si on fait de l’ultraperformant pour faire de l’ultraperformant, on se trompe. On ne doit pas oublier la destination finale qui est de loger des gens qui doivent se sentir bien chez eux. Penser des bâtiments modulables pour évoluer en fonction des besoins exprimés ou subis. Notre rôle est de les accompagner pour que le logement soit un moyen pour eux de mieux vivre. Si on oublie cette notion on a tout faux. Ce qui est souvent le plus efficace est le moins visible. Aujourd’hui, les solutions plus inertes sont souvent les moins voyantes et elles ne dépendent pas du comportement des locataires. Elles sont en effet inhérentes au bâtiment. C’est l’inertie du bâtiment qui va apporter du confort, l’habitant se sentira mieux et aura moins besoin d’augmenter le thermostat pour avoir se sentiment de confort.

*Atlantique Habitation en bref :

Atlantique Habitation, filiale du groupe Crédit Mutuel et de la coopérative MFLA. Il couvre l’ensemble des besoins sociaux aussi bien sur la partie accession sociale avec sa coopérative que la partie logement social en tant que bailleur social. L’histoire d’Atlantique habitations débute il y a 100 ans avec la Maison Radieuse à Rezé construit par Le Corbusier.  Aujourd’hui, Atlantique Habitations a franchi le cap des 11 500 logements en 2018 et réalise chaque année 500 logements familiaux et 100 logements lits foyers. Ce pôle immobilier social entend jouer un rôle majeur au service des populations et en partenariat avec les collectivités.
Atlantique Habitations et MFLA poursuivent leur investissement dans des démarches participatives, pour répondre à la volonté de participation exprimée par les citoyens et par les élus.
L’axe fort de son développement pour ces prochaines années est l’accompagnement et la préparation au vieillissement. Avec une réflexion sur l’adaptation des logements, l’accessibilité le développement et la mise en réseau d’associations pour aider au maintien à domicile.
Atlantique Habitations se donne pour mission l’accompagnement social et la gestion de la mixité au travers de ses attributions de logement. Le bien vivre ensemble et le développement du lien social fait aussi partie de ses prérogatives.
La transition énergétique représente une part importante de l’engagement et de ses actions en faveur de la RSE qui structure l’ensemble de sa stratégie.

 

Pour Aller plus loin

Retrouver l’ensemble des travaux du groupe « transition énergétique » de l’Institut Kervégan :


>
 Article et vidéos retour sur le cycle de conférence : « Le logement au défi de la transition énergétique « 

> Dossier  et table ronde : « L’énergie, les enjeux d’une transition réaliste et durable »

> L’enquête « La perception de la transition énergétique sur le territoire de Nantes Métropole » (pdf) et analyse (pdf)

> Contribution : « Comment sensibiliser et mobiliser le citoyen aux enjeux de la transition énergétique? » Par Gino Baudry