L’évaluation, quelle prise en compte de la diversité ?

Paru dans la Tribune Libre #51 (PDF, 1.27 Mo)
Juillet 2013

Auteur : Jacques CROCHET

 

Dans notre société, l’évaluation est de plus en plus pressante et continue. « Rendre des comptes, être mesurable et surtout compétitif » est l’injonction permanente. Elle nous rend visible.

« On m’évalue, donc j’existe »

L’entreprise en particulier est devenue une véritable machine à évaluer. L’Evaluation est désormais devenue la « pierre angulaire » des politiques de ressources humaines, et ses pratiques la nouvelle bible du management. L’évaluation est permanente, que ce soit lors du recrutement, pour l’évolution dans le poste, la fixation de la rémunération, et finalement le maintien dans l’entreprise. L’environnement concurrentiel des entreprises, la recherche permanente de la performance ont renforcé les manageurs dans leur volonté de mesurer la performance individuelle de leurs collaborateurs. Ces pratiques ont été adoptées avec intérêt dans les secteurs privé et public, même si pour ce dernier on est encore en phase d’expérimentation, dont les résultats seront présentés en Juillet 2013. Certaines collectivités territoriales ont cependant déjà mis en place des procédures d’évaluation, dont les résultats sont pris en compte pour l’avancement et la fixation du montant de certaines primes.

Dans tous les cas un entretien professionnel réunit le responsable et son collaborateur à une date déterminée, et un contenu préparé à l’avance. Sont abordés en général les résultats de l’année, les objectifs pour l’année suivante, les besoins en formation et les perspectives d’évolution. La qualité de l’encadrement est également appréciée pour les cadres gérant des salariés. Les critères quantitatifs sont complétés notamment par une analyse de l’efficacité dans l’emploi, des compétences professionnelles (savoir faire et savoir être), des qualités relationnelles et de la capacité à encadrer. Il faut remarquer que cet entretien annuel prend souvent la forme d’un « oral d’examen » auquel on se prépare de part et d’autre. Il ne s’intègre pas toujours dans une démarche globale d’évaluation du salarié tout au long de l’année, avec des possibilités de « redresser le tir » si l’atteinte des objectifs paraît s’éloigner.

Veut-on évaluer le travail ou évaluer le salarié ?

Il est clair qu’on veut mesurer la performance individuelle des salariés, en valorisant les efforts personnels. Toutes les pratiques ont donc le même objectif : isoler la performance individuelle, la rendre objective par l’utilisation d’indicateurs quantitatifs, et faire en sorte qu’elle progresse. S’ajouteront des critères qualitatifs visant à apprécier le comportement des salariés.

De la simple évaluation professionnelle du travail effectué, on est passé à la gestion de la performance des collaborateurs. L’utilisation de l’informatique permettant de tout chiffrer, l’évaluation est devenue une véritable machine à mesurer l’activité des salariés. La mesure a donc pris le pas sur l’évaluation. Privilégier les mesures standardisées de l’évaluation limite le champ d’analyse en le cantonnant à ce qui est chiffrable ou estimable rapidement.

Sont laissés de côté entre autres la connaissance du métier, la capacité à faire face à des difficultés imprévues, les savoirs faire liés à l’expérience… Même les critères qualitatifs se sont standardisés et amènent à généraliser les compétences afin de pouvoir les noter. Le comportement du salarié est mis «en carte». On évalue son implication, son adhésion aux valeurs de l’entreprise, son degré de responsabilité, toutes choses difficiles à quantifier.

L’évaluation en se voulant homogène et objective ne permet pas la prise en compte de la diversité. Et surtout en privilégiant la performance individuelle, elle ne retient pas la notion de travail collectif. L’activité dans l’entreprise ne peut pas être totalement individualisée. L’information partagée, le travail en collaboration, l’accompagnement de jeunes collaborateurs par le tutorat entre autres ne peuvent se chiffrer, et sont appréhendées collectivement.

Le discours managérial dominant en privilégiant la mesure et ses indicateurs a réduit l’évaluation à des résultats. L’objectivité y trouve son compte, mais le sens du métier, les valeurs exprimées sans doute non. L’homogénéité des procédures est réelle, mais elle a exclu toute approche sérieuse de la diversité.

Réduire l’évaluation d’un collaborateur uniquement à l’appréciation de ses compétences chiffrables, en n’analysant pas d’autres paramètres, amène à l’apprécier uniquement sur sa capacité à se conformer à la norme. Cela favorise le développement de «l’employabilité», mais surement pas l’atteinte à la réalisation de soi.