Portrait d’Alain Richeux

Placer la responsabilité au cœur de nos réflexions

Alain Richeux aime dire qu’il est entré dans la vie professionnelle dans une crise pour en sortir dans une autre. Ce Nazairien, bachelier en 1968, qui a croisé la route de Daniel Cohn-Bendit a pris récemment sa retraite, après une longue carrière dans le conseil de gestion des PME/PMI. De sa nouvelle disponibilité, il souhaite prendre du recul pour réfléchir au modèle social et économique de notre pays en posant la notion de responsabilité au centre des analyses.

 

Vos débuts dans la vie adulte ne préfiguraient pas ce qu’allait être votre carrière professionnelle !

Pas vraiment ! J’ai eu mon bac en 1968, et à cette époque j’aimais bien le lancé de pavé ! Comme beaucoup,  je vivais dans le rejet des générations précédentes, des parents et de leur histoire. Je venais d’un milieu modeste, mon père travaillait aux chantiers et ma mère tenait un petit commerce. Moi, je voyais dans cette période de contestation, où il s’agissait de changer le monde, l’occasion de ne pas en faire lourd !

Et puis vous vous reprenez en main si l’on peut dire !

Je me posais des questions existentielles et j’ai ressenti le besoin d’aller vers du concret, vers une activité qui renvoyait aux chiffres, à une forme de réalité, alors j’ai choisi de faire une maîtrise de gestion.

Et de là, une longue carrière dans le conseil commence…

Oui, le conseil de gestion était une science nouvelle à l’époque. Je suis entré comme consultant à KPMG, à l’époque La Fiduciaire de France, où pendant 10 ans, j’ai mené des missions de consultant auprès de chefs d’entreprises.

Et comment avez-vous vécu ce grand écart entre l’ambiance « mai 68 » et l’univers des PME ?

Très bien car j’ai adoré ce job : il m’a permis de côtoyer des « gens vrais ».

Comment a évolué votre fonction ces 10 premières années ?

A partir de 1974, les tensions micro-économiques ont commencé à se faire sentir. Mes missions ont donc évolué vers de la restructuration d’entreprise. J’ai traité des dossiers d’entreprises en difficulté, auprès de dirigeants souvent désemparés et malheureux, c’était pour ainsi dire, comme faire de la chirurgie inesthétique !

Et puis vous avez d’autres ambitions ?

Oui, je suis parti de KPMG pour créer mon propre cabinet conseil en affaires et gestion, Muta Consultants, cabinet pluridisciplinaire, intégrant des activités de service informatique filialisées. Après quelques temps, j’ai éprouvé la nécessité d’une révolution stratégique des activités conseil du cabinet, avec la spécialisation dans un domaine. C’est comme ça que j’ai crée le cabinet HISSEO, orienté sur le management, la stratégie et le développement des PMI/PME et destiné aux marchés du Grand ouest. C’était fin des années 1990.

C’est quoi le bilan en fin de carrière ?

Quand j’ai revendu Hisséo en 2008, c’était 15 salariés et plus de 100 clients par an ! J’ai à mon actif près de 350 entreprises côtoyées de très près. J’en tire une bonne analyse de ce qu’est une PME et je peux dire que j’adore ce type d’environnement !

Et si vous aviez à décrire ce qu’est un patron de PME, vous diriez quoi ?

Les patrons de PME sont des gens à forte personnalité, souvent autodidactes, pragmatiques, paternalistes peut-être, car ils voient l’entreprise comme leur famille mais ce ne sont pas  des capitalistes au sens péjoratif qui est attribué à ce qualificatif. Ce sont des gens courageux qui subissent une pression et une solitude énorme ! Leur principale qualité est la résistance à la frustration et leur motivation première est de s’accomplir, l’argent vient après le plus souvent.

Aujourd’hui retraité, vous choisissez de vous impliquer dans l’Institut Kervégan, pourquoi ?

Quand on dirige une PME, il est difficile de prendre de la distance, de se dégager du temps pour s’intéresser à autre chose. J’ai eu une vie qu’on pourrait dire étriquée, pendant laquelle j’ai creusé un seul sillon pendant 40 ans,  10 à 15 heures par jour. Maintenant que je peux me le permettre,  j’ai envie de m’impliquer dans une réflexion sur notre société et son modèle. J’ai envie pour cela de faire le rapprochement entre l’observation micro-économique (le vécu de l’entreprise) et ce qui se passe dans la macro-économie, de comprendre l’homme pour comprendre l’économie.

Vous avez choisi de participer à l’atelier qui questionne le modèle social français, quelles sont les premières analyses que vous souhaitez partager ?

Nous sommes dans une situation catastrophique, où ceux qui bénéficient d’un pouvoir font preuve d’une grande irresponsabilité. On est totalement décalé avec le monde de la PME. Le modèle social porté par notre génération est difficile aujourd’hui à changer ! Cette génération n’a pas envie de faire le sacrifice des abus dont elle a profité pendant 50 ans ! On est dans une société du droit à avoir mais où le devoir d’être n’existe pas. Pour couronner le tout, on a ouvert la boite de pandore de la finance. Il est devenu plus excitant et profitable de jouer sur le terrain de la spéculation ou alors de se réfugier dans un système confortable et protégé, que de s’engager, d’investir son énergie dans la création et dans la construction en prenant le risque de perdre. D’où mon vœu de remettre la responsabilité au cœur de nos réflexions et projets. Entre spéculation et protection, existe-il encore un peu d’espace et d’écho pour se faire entendre ?

Propos recueillis par Stéphanie RABAUD,
Directrice générale de l’Institut Kervégan