Article de Stéphanie Rabaud

Echanges Post attentats avec les jeunes volontaires en service civique d’Uniscité

Vendredi 4 décembre, j’étais invitée à une table ronde organisée par Unis-Cité pour échanger avec 90 jeunes femmes et jeunes hommes en service civique autour des attentats du 13 novembre dernier.

Ce débat a été initié par les animateurs d’Unis-Cité à la demande des jeunes eux-mêmes, qui exprimaient, au lendemain des attentats du Bataclan, un besoin de parler de leurs émotions et des réponses à apporter face au terrorisme.

La première partie de la matinée a été consacrée à l’expression de leurs ressentis, d’abord au moment des faits, ensuite après le recul des trois semaines qui nous séparaient des événements.

Une émotion – un post’it sur le mur

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Le mur des émotions parle de lui-même : peur, colère, dégoût, tristesse. Le temps du recul ne semble pas apporter de réponses.

Nous sommes ensuite passés au débat avec les deux intervenants qui m’accompagnaient : Hamadi Redissi, Professeur de Sciences Politiques à l’université de Tunis, résidant à l’Institut d’Études Avancées et Bassem Asseh, adjoint au dialogue citoyen à la Ville de Nantes.

Pour ma part, j’ai choisi de m’appuyer sur les travaux de l’anthropologue Donia Bouzar, pour leur parler du contexte dans lequel des jeunes, appartenant à leur même classe d’âge, et qui sont issus de milieux sociaux plus diversifiés qu’on pourrait le penser de prime abord, se retrouvent embrigadés par des membres de Daesh, et quittent la France pour rejoindre l’État islamique. Les différents processus qui ont cours avant le départ en Syrie sont marqués par les mêmes étapes de rupture : rupture dans les pratiques de loisir, rupture avec les amis, rupture avec le milieu scolaire et enfin rupture avec la famille. On retrouve cette même mécanique dans l’entrée dans les sectes. Savoir le repérer, à l’échelle individuelle et collective, c’est se donner un moyen d’intervenir en amont, et éviter les départs autant que faire se peut.

uniscité_steph_bassemL’intervention de Bassem Hasseh, parce qu’il est né et a grandit au Liban pendant la guerre a permis d’apporter un éclairage personnel sur le contexte historique et géopolitique propre au Moyen-Orient, même si, comme il l’a reconnu lui-même, « si on vous explique le Moyen Orient et que vous pensez avoir compris, c’est qu’on vous a mal expliqué ». Il a parlé de ce qu’on avait en face de nous : une organisation qui est apparue pour instaurer un État et installer une idéologie extrêmement sectaire sur un territoire allant du nord de l’Irak au sud de la Syrie, dont les 1ères victimes sont les musulmans eux-mêmes, chiites ou sunnites, et qui cherche à s’étendre de plus en plus, jusqu’à combattre les sociétés démocratiques occidentales pour leur pluralisme.

Hamadi Redissi a insisté sur la nécessité pour tous ces jeunes de s’intéresser à ce qui se passe ailleurs, et notamment au Moyen-Orient car avec la globalisation, « plus aucun phénomène n’est sanctuarisé sur un territoire ». Il a tenté de répondre à cette question : Pourquoi Daesh ou l’État islamique, est-il si puissant ? en invoquant l’alliance tripartite entre des djihadistes formés à la guerre en Afghanistan, des tribus sunnites opposées aux chiites et des colonels de l’armée irakienne dissoute et cette rupture dans le modus operandi du Djihad qui comporte traditionnellement un protocole contre l’ennemi.

uniscite_publicAprès avoir exprimé la peur des amalgames, des dérives sécuritaires et identitaires, les jeunes volontaires présents se sont interrogés avec justesse sur la notion de guerre, sur la responsabilité des États face à la circulation des armes, sur nos responsabilités collectives.

Personnellement, ils m’ont redonné une bouffée d’optimisme. A l’inverse des discours sur la jeunesse individualiste et désengagée, j’ai rencontré ce matin là des jeunes qui ont fait preuve d’une belle intelligence dans les débats, avec un sens de l’écoute assez remarquable! Ils ont exprimé un attachement aux valeurs de la démocratie et de la laïcité et une volonté d’agir collectivement pour lutter contre ce qui menace ces valeurs. Ça donne quand même de l’espoir malgré tout.