Débat sur la transition numérique des entreprises

Peut-on « humaniser » la transition numérique ?

Derrière une locution galvaudée – transition numérique – se pose un problème concret pour les entreprises : comment gérer l’impact humain d’un chambardement technologique sans fin ? Chercheurs, consultants et professionnels étaient invités par l’Institut Kervégan à y réfléchir devant une cinquantaine de personnes, le 10 mai dernier, au Centre des expositions de Nantes Métropole.

« La transition numérique c’est le sujet tarte à la crème qu’on nous sert matin, midi et soir, du magazine Management au journal télévisé de Jean-Pierre Pernot sur TF1 », décoche d’entrée Mathias Crouzet, conseiller en stratégie digitale et modérateur d’un soir. Si ces deux mots accolés semblent aujourd’hui envahissants, leur utilisation dans l’Hexagone est très récente. Les premières mentions en ligne, techniques, datent de 2000 si l’on se réfère aux archives des moteurs de recherche.

Courbe médiatique ascendante

L’extension au terrain économique, par traduction de l’anglais digital transformation, s’officialise en 2012 avec le lancement d’un programme français d’aide dédié aux TPE-PME. Dans la foulée, la transition numérique trouve un écho médiatique grandissant, comme en témoigne la courbe ascendante des mentions dans les articles en ligne, ces six dernières années.

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« Transition numérique » dans Google Actualités © Google Inc.

Grand écran ou grand chambardement ?

Dans un effort de clarification, Frantz Rowe, professeur à l’Université de Nantes, distingue ce qui relève du changement incrémental – « modifier la taille d’un écran ou la puissance d’un ordinateur, ce qui demande un investissement mais ne prend pas une une génération » – de ce qui appartient au changement radical « c’est la modification des modèles mentaux, beaucoup plus longue, complexe et aléatoire ».

Frantz Rowe © Thibault Dumas

 Dompter la technologie

Au-delà de la technicité, c’est bien la place de l’Homme dans l’entreprise qui est questionnée. « Nous devons donner du sens aux technologies sinon ce sont les technologies qui vont nous donner le sens », résume dans un aphorisme François-Xavier Marquis, consultant. Celui qui a mené plusieurs missions gouvernementales sur le numérique, identifie une cheville-ouvrière inattendue : « Dans une entreprise, la personne la plus sensibilisée au numérique doit être le responsable des ressources humaines ».

François-Xavier Marquis © Thibault Dumas

« Phénomène de mode »

Étonnement, plus la société est petite, moins la transformation semble aisée. « Le numérique est encore vécu par beaucoup de TPE-PME comme un mal nécessaire voire un investissement défensif, très coûteux », embraye le chercheur à l’École des Mines de Nantes, François Deltour. La disparité dans l’utilisation des outils connectés est très forte, comme le montre l’exemple des PME bretonnes. Une étude récente de l’Observatoire social de l’entreprise (OSE), révèle que 47 % des chefs d’entreprises pensent que la transition numérique « constitue un simple phénomène de mode ». Un chiffre qui monte à 50 % chez ceux qui dirigent des TPE.

François Deltour © Thibault Dumas.

Au bord du précipice

Difficile à digérer, aussi, pour les cadres intermédiaires des entreprises. « J’ai beaucoup de couteaux dans le dos mais je tâche de ne pas trop me retourner », résume dans un rire Nathalie Deniaud, en pointe sur la transformation digitale chez Serians, filiale de Konica Minolta. Les réticentes ne sont pas seulement liées à l’âge ou à l’ancienneté, mais résultent de facteurs psychologiques, culturels ou sociaux mouvants. « [Les managers] ont l’impression qu’on les met au bord d’une falaise avec l’obligation de faire un pas dans le vide », image t-elle.

Nathalie Deniaud © Thibault Dumas

Par Thibault Dumas, journaliste. Enregistrer

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Le débat en photos

Table ronde : transition numérique des entreprises

Photos : © Thibault Dumas. Enregistrer

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