Les Français déçus de l’Europe

Un idéal en panne

 

Article paru dans la Tribune libre #52 (PDF, 906 ko)
Novembre 2013
Auteur : Jacques CROCHET

 

Les Français sont le peuple européen le plus déçu par l’Europe. Ils n’ont plus confiance dans le projet européen. C’est la conclusion de l’étude annuelle de l’Institut américain Pew Research Center réalisée sur les opinions publiques de huit Etats membres de l’Union européenne.

En 2012, 60 % des Français sondés étaient favorables à l’Europe. En 2013 ils ne sont plus que 41 %. C’est la chute la plus forte constatée parmi les huit pays concernés.

Le constat de ce désenchantement est renforcé par une étude qualitative de l’IFOP sur «les Français et l’Europe». Cette étude confirme le décrochage entre la population française et la question européenne.

Mais ce qui attire l’attention, c’est qu’elle a été réalisée auprès d’un échantillon de citoyens attachés à la construction européenne, et non pas des eurosceptiques. Ils manifestent de la déception pour la fin d’un rêve européen, et une nostalgie de cet idéal qui s’éloigne.

lls ne se sentent pas spontanément Européens, comme ils pouvaient l’afficher, mais se définissent d’abord comme Français, et ceci est manifeste chez les Jeunes.

Nombreuses sont les critiques qui s’expriment

Une intégration économique privilégiée se fait au détriment d’une harmonisation sociale et d’une mise en avant de valeurs communes ;

L’intégration de nouveaux pays est trop rapide, ce qui est source de déséquilibres et de blocages, et la solidarité entre les éléments d’un ensemble disparate est fragile ;

On est face à une Europe qui ne protège plus, contrairement aux promesses. Les critiques se portent sur le chômage, la vie chère, les délocalisations ;

L’Europe devait être symbole d’union et de puissance. Or, elle apparaît aux yeux des sondés comme un «nain politique et économique» face aux Etats Unis, à la Chine, et même aux pays émergents ;

Les Institutions européennes sont trop complexes et opaques. Face à cette machine éloignée des préoccupations quotidiennes, on note un retour sur le cadre national. On pense franco-français ;

Une critique monte enfin face aux difficultés des citoyens : Celle d’une Europe «au service de l’argent».

L’idéal européen est en panne. Le décrochage politique et économique franco-allemand, et un décalage de plus en plus visible entre l’Europe du Nord, et l’Europe méditerranéenne déstabilisent et inquiètent les citoyens européens, en particulier les Français. Les concepts qui ont prévalu à la constitution de l’Europe sont loin.

Des voix s’élèvent même pour reprendre la réintégration au sein de l’Europe, peut être avec moins de pays.

Une alternative à la dérive

Dans ce débat, il est intéressant de lire l’ouvrage de Robert SALAIS, Economiste, Directeur de Recherche à l’ E.N.S., et du Centre de Recherches en Sciences Sociales franco-allemand à Berlin, Le Viol d’Europe, enquête sur la disparition d’une idée.

Depuis 2000, Robert Salais mène des travaux pour montrer qu’il existe une alternative à la dérive vers le «tout marché» et l’affaiblissement des protections sociales et juridiques du travail dans lequel s’enferme la construction européenne.

Dans son ouvrage, Le Viol d’Europe, il démystifie l’histoire de la construction européenne. En analysant dans le détail les étapes de sa constitution, il met en évidence l’ambiguïté du mythe de l’Europe en opposant le «Grand Récit» de sa fondation avec l’histoire véritable.

Il constate que l’Europe n’est plus qu’une pièce d’un ordre mondial marchand, néolibéral et financiarisé. C’est l’échec d’une communauté politique. En fait, croyant travailler à la réalisation de l’idée d’Europe, le processus européen a créé les conditions de sa disparition.

Pour lui les décisions techniques menant à l’union économique et monétaire ont été prises sans débat démocratique. Dès 1956 (Rapport SPAAK), l’objectif de libéralisation des marchés l’emporte sur celui d’une union politique. Les racines de la crise actuelle sont donc bien antérieures au virage néolibéral des années 1980. Les gouvernements se sont progressivement convertis, et ne se sont pas opposés à la montée en puissance de la libéralisation financière.

Au-delà d’un constat sévère, Robert SALAIS estime «qu’il y a toujours eu des chemins qui auraient pu s’ouvrir. (…) Même si de mauvais choix ont été faits, ces chemins restent ouverts».

Il est toujours possible d’aller vers une Europe fédérale avec des institutions décisionnaires démocratiquement

élues, d’avoir une monnaie commune menant progressivement, par l’usage qu’en font les agents économiques, à une monnaie unique ; De mettre en place un contrôle étroit du système financier ; D’obtenir une solidarité budgétaire entre États débiteurs et créanciers et des programmes d’investissements communautaires.

Ces chemins qu’il appelle des «lucioles», ont révélé d’autres Europe possibles. Il nous engage à les suivre grâce à son éclairage.

Un ouvrage très complet pour qui veut comprendre l’Europe et continuer à espérer.

Le Viol d’Europe

Enquête sur la disparition d’une idée

Ouvrage
De Robert SALAIS,
paru aux éditions Presses
Universitaires de France, 2013