Refondation de l’école

paru dans la Tribune Libre #50 (PDF, 1.72 Mo)
Mai 2013

Par Maurice BERTHIAU

Il faut sauver le soldat Peillon !

Faut-il désespérer des Français ? Alors qu’un large consensus, partagé aussi bien par les républicains de droite que de gauche, s’était dégagé sur l’analyse de la situation catastrophique de l’école française, voilà que la plus importante réforme engagée depuis bien longtemps par un ministre de l’Education est en train de se déliter sous nos yeux sans provoquer plus de réaction.
Comment cela est-il possible sans que de nombreuses voix s’élèvent contre cet enterrement annoncé d’un des projets majeurs pour notre avenir et celui de nos enfants ? Il faut dire que nous avons été depuis de nombreuses années vaccinés à l’école libérale qui a généré tous ces cours privés qui doivent permettre de pallier aux carences de l’école. Plus celle-ci est mauvaise, plus il y a de la place pour les cours payants, la spirale infernale de la monétarisation de la société est en marche.

Il y a certainement une question de méthode. Le « mammouth » dénoncé entre d’autres temps ne s’attaque pas de front. Il est nécessaire de dégager un large appui auprès de l’opinion pour le faire avancer. Or aujourd’hui, le débat se concentre sur l’aménagement des rythmes scolaires qui n’est qu’un des aspects secondaires de la refondation. Le recadrage du ministre par Matignon en début de mandat sur ce dossier a ouvert des brèches qui sont maintenant utilisées par les tenants de l’immobilisme. Et la refondation profonde de l’école qui est l’objet de cette réforme risque d’achopper sur ce premier écueil.

Faire renaître un consensus

Ensuite, il y a une question de contexte. Dans un climat de crise profonde, le gouvernement a préféré mettre en avant un sujet clivant en privilégiant le débat sur le mariage pour tous, reflétant en cela un certain autisme des responsables politiques qui ne sont plus en phase avec les citoyens. En effet, les enseignements de la pyramide de Maslow ne doivent pas être oubliés. Quand les besoins de base ne sont pas satisfaits, il est vain de vouloir répondre à des besoins supérieurs.
Alors que dans cette France très clivée et en perte de confiance, il aurait été plus facile de faire renaître un consensus national autour du sujet de la refondation de l’école républicaine.

C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Il est impératif de remettre ce projet au coeur de la rénovation de la République. Pour cela, il faut repartir d’un partage très large des résultats des évaluations internationales qui toutes montrent très clairement le décrochage de la France dans tous ces classements. Bien que circonscrite à un domaine très spécialisé – l’évaluation des compétences des élèves de 15 ans en compréhension de l’écrit et en cultures mathématique et scientifique –, l’étude PISA lancée par l’OCDE en 2000 puis reproduite tous les trois ans, est très claire sur ce recul de la France. Dans la très grande majorité des pays de l’OCDE, cette enquête sur les acquis des élèves en fin de scolarité obligatoire a créé une onde de choc à la fois médiatique et politique qui a amené des réactions. Qu’en a-t-il été en France ? À peine un titre à l’ouverture du journal de 20h. Il faut donc repartir de ce constat, puisque la refondation proposée par Vincent Peillon doit apporter un remède à la catastrophe.

Combattre l’immobilisme

C’est la prise de conscience partagée par l’ensemble de la population et non par seulement quelques spécialistes, qui permettra de combattre l’immobilisme et le corporatisme.
Il faut ensuite travailler avec les enseignants pour les aider à passer ce cap fondamental d’un métier où l’enseignant est seul détenteur du savoir devant une classe d’élève, à un nouveau métier, bien différent, où l’enseignant est membre d’une équipe éducative avec laquelle il ne peut faire autrement que de collaborer. Cette équipe éducative comprend des éléments au statut très divers entre les véritables enseignants diplômés, les éducateurs péri-scolaires et tous les autres médias qui participent à l’accumulation des connaissances de l’enfant et à sa formation.

Le programme de refondation proposé par Vincent Peillon adresse également l’intégration d’Internet et la mondialisation des échanges de savoir dans son approche. Peut-on continuer à donner des devoirs dont tous les élèves copient sur Wikipédia la même information sans avoir la présence d’esprit ou les moyens de la vérifier ? Là aussi nous sommes entrés, que nous le voulions ou non, dans un monde nouveau, et notre système éducatif doit en tirer les conséquences en revenant sur ses fondamentaux et en adaptant ses pratiques.

La solitude des enseignants

Par contre, comme nous l’avons vécu dans les autres champs de la vie professionnelle, il faut avoir conscience que cela ne se fait pas sans un accompagnement important. Ouvrir l’école sur la vie, c’est lutter contre la solitude des enseignants et développer le travail d’équipe. Ouvrir l’école sur la vie, c’est permettre aux enseignants de vivre d’autres expériences, de rencontrer des personnes issues d’autres parcours. Cela ne pourra pas se faire en les laissant se débrouiller seuls dans leur coin, même s’ils sont nombreux. Cela ne pourra se faire qu’avec le soutien et la confiance de la société toute entière. Pour cela, il faut renouveler le lien entre l’école et la nation.

C’est parce que l’ensemble des citoyens prendra l’éducation en main en accompagnant les enseignants que ce pari de la refondation de l’école sera gagné.