Défiance et contradictions

Dérive des sciences et techniques ou dérive médiatique ?

 

Paru dans la Tribune Libre #43 (PDF, 246 Ko)
Août 2011

Auteur : Manoël DIALINAS

 

« C’est le mythe du progrès et de la sécurité qui est en train de s’effondrer. Plus que jamais, nous sommes dans la société du risque voire du désastre » écrivait Ulrich Beck, après le tremblement de terre et l’accident de Fukushima au Japon.

Ce n’est pas certain Monsieur Beck, depuis l’apparition de l’Homme sur Terre, l’espérance de vie n’a jamais été aussi longue, et c’est grâce au progrès.

En 2010, un tremblement de terre de magnitude 7, à Haïti, a fait environ 230 000 morts. En 2011, un tremblement de terre de magnitude 9, au Japon, a fait environ 28 000 morts. Dans les conditions d’Haïti, sans le progrès technique, le tremblement de terre au Japon aurait fait plus d’un million de morts.

Il y a eu le grave accident de Fukushima, qui aurait pu être évité si les considérations de service public et de sécurité l’avaient emporté sur les considérations financières chez l’opérateur Tepco. Cet accident a fait 2 morts, 30 personnes irradiés, 34 000 personnes déplacées dans un périmètre de 30 km, c’est déjà trop, mais ce n’est pas un désastre comme celui du tsunami, 27 000 morts. Fukushima ce n’est pas Hiroshima, la catastrophe c’était le tremblement de terre et le tsunami.

Au fait pourquoi Hiroshima est aujourd’hui une ville prospère de 1.1 Million d’habitants alors qu’elle devrait être irradiée et invivable pour des siècles ? Cela ne veut pas dire que les centrales nucléaires sont sans risques et leurs opérateurs au delà de tout soupcon, mais plutôt que pour ou contre le nucléaire, la problématique semble être : une centrale nucléaire peut elle être exploitée par un opérateur privé, et sans contrôle international indépendant ?

En France, échaudées par les mensonges d’État lors de la catastrophe de Tchernobyl, des personnes se sont précipitées dans les pharmacies pour acheter de l’iode en prévision de l’arrivée d’un nuage radioactif qui en fait s’est dissipé dans l’océan pacifique. Ces deux faits, le mensonge et la panique, sont révélateurs d’un niveau de culture scientifique déficient pour un pays qui a été longtemps à la pointe des Sciences. La défiance est en marche, il est question de ne plus construire des centrales nucléaires en bord de mer en raison du risque de tsunami, voire c’est le refus total de l’énergie nucléaire comme en Allemagne et en Suisse.

Pourquoi ne parle t-on pas de ne plus construire des villes côtières en raison du risque de tsunami ? Quid de la ville de Nice dont les connaissances scientifiques prévoient qu’elle connaîtra un tremblement de terre important avant un siècle ? Quel est le pourcentage de bâtiments conformes aux normes antisismiques à Nice ? Y a t-il des digues qui protègeraient d’un tsunami ?

On évoque les rejets radioactifs de Fukushima qui feraient des milliers de victimes dans les 24 000 ans à venir : pourquoi ne se préoccupe t’on pas des matières radioactives dispersées dans l’atmosphère par les 543 essais nucléaires militaires de 1945 à 1989, qui ont relâché au total environ 1 000 fois plus de matières radioactives que Fukushima ? Y a t-il des effets sanitaires et qui s’en inquiète aujourd’hui ?

En 2011, 150 millions de diabétiques dans le Monde, ont une vie presque normale, grâce à des prises quotidiennes d’insuline qui est beaucoup plus accessible et assimilable qu’auparavant, parce que majoritairement produite par des bactéries OGM, ces OGM rejetés par une large part de l’opinion publique qui fait passer des risques supposés avant des effets prouvés. Pour un diabétique qui arrête de prendre de l’insuline produite par des OGM, c’est la mort assurée en quelques mois. Un diabétique qui prend de l’insuline produite par des OGM, c’est le risque d’avoir un effet secondaire dans 20 à 50 ans : quels sont les diabétiques qui vont arrêter l’insuline OGM ? La défiance va-t-elle s’exercer vis-à-vis de ce médicament ?

La défiance atteint des sommets avec les vaccins. Depuis Pasteur, les vaccins ont sauvé des millions de vies, et ont permis d’éradiquer des maladies autrefois fléaux de l’Humanité. Et pourtant, aujourd’hui, dans une part significative de l’opinion, la peur du risque, faible, d’effet secondaire l’emporte sur la protection, prouvée, du vaccin contre le danger réel de contracter des maladies mortelles. On est en pleine irrationalité, le petit risque est traité comme un danger important, et le danger mortel comme un faible risque.

Il y a des faits graves et avérés : les femmes contractent de plus en plus le cancer du sein (+ 60 % en 20 ans), et de plus en plus tôt. Pour la seule France, qui est plus touchée que les autres pays européens, 50000 cas par an, 11000 décès par an. Pourquoi et quelles causes ?

Les essais nucléaires militaires ? Les résidus de pesticides dans l’alimentation ? Les gaz d’échappement des moteurs diesels ? Le vin ? Les retombées de Tchernobyl ? Des substances chimiques dans les produits d’entretien ménager ? Les centrales nucléaires françaises ? Le régime alimentaire ? Les rayonnements électromagnétiques des téléphones portables ? Le tabac ?

S’il était prouvé que ce sont les centrales nucléaires françaises qui sont la cause des cancers du sein, alors l’opinion serait unanime pour un arrêt immédiat du nucléaire. Mais s’il était prouvé que c’est le vin, est ce que la France arrêterait d’en produire et d’en boire ?

Depuis le tremblement de terre au Japon, pour la seule France, les accidents de la route ont fait plus de 1000 morts (à comparer au 2 morts de Fukushima) sans compter un nombre plus important de blessés dont certains handicapés à vie. 1.3 Millions de tués dans le monde chaque année. Ce n’est pas un risque, ces accidents ont eu lieu, et pourtant il n’est pas question d’interdire les voitures et le «progrès automobile». Face aux accidents automobiles, la défiance envers le progrès technique est curieusement silencieuse. La défiance serait-elle à géométrie variable ?

Les opinions publiques n’arrêtent pas de s’affoler à l’écoute de l’emballement des médias, eux mêmes à la poursuite de leurs courbes d’audience, et diffusant des nouvelles à caractère anxiogène quand elles ne versent pas dans la surenchère catastrophiste, mais cela fait « vendre ».

Ces médias privilégient l’anecdotique, l’émotionnel, sur le fond. Il n’y a pas de hiérarchisation des niveaux de gravité. On s’émeut sans réfléchir aux 28000 victimes du tsunami, à l’accident de Fukushima, au mediator, à l’opération contre Ben Laden, un chauffard ivre conduisant sans permis qui tue 3 personnes d’un coup, le distilbène, la sécheresse, la révolte des peuples arabes, le prix du pétrole qui atteint des sommets, l’affaire DSK, la dette grecque, et enfin la bactérie E Coli qui a fait 42 victimes et, qui indirectement, par la folie collective, a mis des milliers d’agriculteurs en grave difficulté dans toute l’Europe.

Le problème n’est sûrement pas les avancées scientifiques et techniques, qui ont permis de trouver l’origine de la « bactérie tueuse » E Coli : une ferme bio qui pensait rejeter le risque et le désastre, tout un symbole ! S’il y a un désastre, ne serait ce pas cette dérive de l’information sur laquelle se construisent comportements de défiance, populismes, amalgames, et peur irraisonnée ? On est « au cœur de l’événement », mais il n’y a ni analyse, ni réflexion, et parfois cela frise la manipulation. Où sont la rigueur et la déontologie revendiquées par les journalistes ? Alors que cette information largement diffusée, plus accessible que jamais, et quasi instantanée pourrait être une opportunité de conforter ses connaissances et d’exercer son esprit critique ? Serait-ce la défaite de l’intelligence?