Variations sur l’atelier « Territoires »…

ou la tentation du propos mal élevé

 

paru dans la Tribune Libre #21
mars 2008

Participer aux travaux de Kervégan est un luxe dont on n’a pas toujours conscience. On peut y exercer une liberté quasi-absolue et mettre en débat une quantité d’idées pas toujours exprimables ailleurs. Et pourtant, on se retient souvent, trop souvent… On veut rester bien élevé alors qu’on a l’occasion de jeter —avec classe et distinction et… quasiment sans risques— un peu de sel sur quelques vilaines plaies.

L’atelier territoires illustre assez bien cette tendance à la retenue. C’est un groupe mobilisé (plus de 20 personnes à chaque fois), très bien animé et dont on sent que chacun des membres est porteur d’une envie d’expression. Mais, quoi qu’on en dise, c’est un sujet complexe sur lequel pèsent quelques kilos de discours officiels convenus et deux ou trois enclumes idéologiques.

Dès lors, chacun a tendance à s’adapter au théâtre et joue son rôle. Le plus souvent avec talent, on est entre « personnes de qualité ». Les gens de l’Université font des scénarios, ceux de la Chambre de commerce de la coopération-compétition (néologisme qui indique qu’on peut parfois se tenir par la main tout en tentant un croche-pied…), on cite quelques auteurs, on parle de la belle endormie (vieille ficelle archi-usée qu’on utilise pendant les campagnes électorales), l’animateur recadre et le Président rappelle à tout le monde que le XXIème siècle a déjà commencé depuis quelques années.

L’ambiance est bonne et l’on se dit que quelqu’un va bien finir par « se lâcher » et jeter, ne serait-ce qu’un petit caillou dans la mare trop tranquille. Mais la bonne éducation crée aussi des inhibitions.

Alors peut-être faut-il balancer quelques pavés moussus et provoquer des éclaboussures pour que les cailloux (petits) sortent enfin des poches.

Par exemple :

L‘image du territoire

Voilà bien un sujet dont il faut mesurer l’importance relative. L’image de Nantes est bonne, profitons-en, mais elle durera le temps que les médias tournent le regard ailleurs. Et puis, l’image de Nantes c’est quoi ? le muscadet, le foot, la pluie, le château, estuaire 2007, Jacques Demy, Aristide Briand, le petit Lu, Cambronne, l’éléphant meccano, Barbara… ? En outre, chacun a les siennes et le propre d’une image c’est d’abord de… mentir. L’image est aussi bien souvent contre-productive et beaucoup de délégations, estudiantines notamment, venues à Nantes contempler les prémisses de l’urbanisme du troisième  millénaire, repartent souvent en se demandant pourquoi ils n’ont pas réussi à trouver le quartier dans lequel les nantais l’expérimentent.

Nantes St Nazaire

Voilà un concept un peu dépassé et son usage frise aujourd’hui l’overdose. Kervégan peut le dire, à sa manière. L’idée est ancienne et il est grand temps de regarder l’avenir. Si l’on a bien lu les programmes politiques des candidats Ayrault à Nantes et Delaveau à Rennes, on s’aperçoit que la logique territoriale qui se dessine est en train de changer doucement. Il n’y aura pas de rupture brutale, ce n’est pas le genre de la maison, mais un nouvel axe va apparaître : on l’appellera Nantes-St Nazaire/Angers/Rennes-St Malo (là-bas aussi, il y a des vieux schémas à dépasser).

Comme pour toutes les idées vieillissantes, on entend même de curieux arguments. L’un de ceux-là serait que l’air du grand large serait tout de même plus valorisant que la relation avec la Vendée ou l’Ile et Vilaine (sic) ! Mais le grand large, il apporte quoi, à part du vent et un peu de pétrole de temps en temps ? Certes, il y a les bateaux mais le Port est sans doute le sujet sur lequel la métropole Nantes-St Nazaire n’a eu que peu d’effet alors qu’il devrait en constituer la priorité.

Kervégan a toute latitude pour affirmer cette idée forte du dépassement de Nantes-St Nazaire. Il donne un point de vue de citoyens, pas d’institution. Il peut donc s’affranchir de la bienséance politico-administrative. Le pouvoir politique local peut bien être un peu bousculé, il ne risque plus rien…

Les ressources

Quel est le potentiel réel de création de richesses et d’emploi du territoire et quelle est sa capacité d’intégration dans le système mondialisé ?  Suffit-il d’être un territoire de captation de richesses redistribuées ensuite, selon la théorie de Laurent Davezies ?

La Métropole décalée

On l’a dit et répété : la Métropole concentre la richesse mais aussi la pauvreté.

Une bonne partie des nantais doit avoir des revenus ne dépassant pas 1500 euros, ce qui peut éventuellement justifier qu’ils portent un intérêt tout à fait modéré aux grandes fonctions métropolitaines…

Par ailleurs, le discours politique, autant que médiatique, est arc-bouté sur l’idée que Nantes serait épargnée par les problèmes sociétaux du moment. Il n’y aurait à Nantes, ni tentations communautaires, ni misère, ni économies parallèles… On peut faire semblant de le croire, mais on s’expose à des surprises.

La jeunesse

Qui peut croire encore que, dans un monde globalisé, un jeune brillant puisse avoir Nantes pour horizon ? Il vise sans doute Paris, Londres, Barcelone, Berlin,

Mais probablement pas les bords de la Loire…

La psychanalyse du territoire

Un membre de l’atelier « territoires » a évoqué l’intéressante question de la psychanalyse. Elle mériterait d’être approfondie notamment sur la question bretonne. À l’échelle du monde d’aujourd’hui, le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne ne présente pas grand intérêt. Mais ça n’explique pas pourquoi les Nantais mettent une telle insistance à refuser d’être bretons. Nantes est en Bretagne, Paris est en France, rien d’anormal à cela. Qu’y a-t-il dans ce refus ? Les nantais sont peut-être atteints d’un syndrome new-yorkais ?

On pourrait continuer sur d’autres sujets :

– Pourquoi la ville-centre d’un territoire aussi ambitieux est-elle encore éclairée nuitamment comme dans les années 60 ?

– Pourquoi la ferraille rouillée est-elle devenue le symbole de la modernité du projet urbain ? etc… etc…