Autonomes ?

Paru dans la Tribune Libre #18
décembre 2007

 

Récemment, dans Le Monde,  un article d’Alain Renaut «Etudiants, un mouvement décevant» rappelle à juste titre qu’en 68 d’une part «l’autonomie» était un slogan utopiste, que de l’autre, les «autonomes» comme les «Katangais», une bande, un gang. L’autonomie est déjà là. Les grandes écoles. Financement, stages, placement par les anciens élèves. «Der Filz», dit-on en allemand : les «relations» solides comme du «feutre», «l’esprit de corps», celui qu’on invoque pour garder quand même en douce le bizutage. Si c’est ça l’autonomie! Faire bande à part ? Aux autres le «non-lieu» public, la salle d’attente de seconde classe ? Où l’on ne ferait que garder hors d’eau et d’ignorance crasse les plus vieux rossignols, le non-rentable?

En fait, il convient de décloisonner les Grandes Écoles dans les deux sens. Si les universités s’ouvrent, que les écoles le fassent aussi. Pourquoi auraient-elles le privilège, unique au monde sans doute, d’être autonomes et sélectives à outrance, mais en même temps complètement abritées et grassement subventionnées par l’État ? C’est vrai qu’il y a peu d’expériences ! L’Université-Pasqua(tiens, personne n’en parle plus !) fut une caricature ; quant aux «nouveaux» campus, très liés à la technologie comme Compiègne, veut-on, peut-on dans toutes les disciplines généraliser cela ? C’est impossible et pas souhaitable. Inventer de nouveaux et nombreux modèles d’autonomie donc, selon le poids variable des régions, le tissu économique, le bassin d’emploi, le capital historique accumulé dans l’histoire des savoirs, les liaisons internationales autres que factices et statistiques. Tout savoir ne sera pas partout.

Et puis, est-ce qu’une partie de la solution ne consisterait pas à former les étudiants à être des citoyens-étudiants ? Car il n’y a pas aujourd’hui de transmission des connaissances sociales, des expériences, des succès et échecs, des manipulations et récupérations diverses (où s’en est allé le Geismar d’antan ?). Alors, si les Universités, disons plutôt même leurs enseignants, se prenaient par la main (oh, les «valets de la bourgeoisie» !) pour faire le travail, ou au moins ouvrir le chantier. Un enseignant, entré souvent en  fac par le biais du secondaire entre 30 et 35 ans, du moins en sciences humaines, y aura vu durant les 30 années qu’il y passe, une bonne dizaine de crises (tous les trois ans en moyenne). Qu’en a-t-il retenu ? Que faudrait-il en savoir pour que les protagonistes étudiants ne retombent pas dans les mêmes errements, les enthousiasmes sans lendemain, les aperçus de solutions, vite effacés. Après tout, on fait de l’anglais et de l’informatique obligatoire, en tant que deux grands langages universels mais la morale civique, qu’en est-t-il ? Limitée au lycée ? Et il faut voir comme ! Arrivé à ce point, on criera «Paternalisme! Le temps de Michelin est passé !» Qu’importe ! Ajoutons que, dans ce cadre, envoyer (de force, quand même pas ! Et avec quels moyens ?) les étudiants une année à l’étranger serait sans doute un moyen de formation important pour acquérir, diffuser cette autonomie que d’autres sociétés, pourtant géographiquement proches, transmettent mieux que nous («C’est tout de même pas dans leurs gènes !»). Leur parcours de vie et de travail y gagnerait en liberté de choix et maîtrise de soi, c’est à dire en autonomie.

Alors, cela fait, ou – dans le même temps – , oui, ouvrir à l’autonomie, mais non sans un coup de balai étatique ! Car là où des clientèles locales sont déjà installées, par le biais des procédures de recrutement par exemple, promulguer l’autonomie, c’est mêler poules et renards dans le fameux «libre poulailler».

Moins de tutelle ministérielle et rectorale, oui mais moins de mandarinat local aussi alors ! Et de micro-présidentialisme! Comment faire ? Une thèse là-dessus ? Qui en tirerait des conclusions ? Dont on tirerait des actes ?

Autonomie du rêve…