Errare et perseverare

Paru dans la Tribune Libre #22
avril 2008

J’ai été élu pour faire les réformes et je les ferai. J’ai oublié de quelles réformes il s’agit mais c’est l’intention qui compte. Et çà marche. On les fait et tout va de mieux en mieux en une sorte d’investissement pour des siècles et des siècles. L’enthousiasme grandissant est encouragement et les chiffres s’alignent impressionnants. 4000 policiers de plus et 12000 enseignants en moins, 20 000 reconduits à la frontière par an, 80 000 permis de conduire retirés par an, ce qui fait 480 000 mois de prison administrative purement préventive, déficits records un peu partout, lycéens dans la rue, retraités fâchés, syndicats en colère, opposition réduite aux acquêts villepinistes. Le plein se paye à crédit et demain le pain aussi. La gestion locale suit péniblement l’exemple: doyen de pharmacie démissionnaire à l’université après 3 ans sur 5 d’exercice, directeur général en vrac comme tout l’hôpital public, un directeur de SEM envolé. Et l’Europe dans tout çà? Elle va très bien elle aussi, merci. Les foules regardent juste un peu de travers son PDG clamer à travers la campagne qu’il est inutile de voter à part pour ce qui est d’ores et déjà décidé mais elles finiront bien par s’habituer. Comme à payer désormais le lait à prix d’or puisque les hiérarques inspirés se sont gourés dans leurs grands plans comme au bon vieux temps de l’est.

Tout çà c’est grand et nouveau. Heureusement les CRS qui jouent à s’entrainer aux affrontements urbains à Rennes sont là pour nous rappeler qu’il y a encore des traditionalistes. La doctrine de la réforme consiste à étrangler le secteur public, tout privatiser, et filer des baffes à ceux qui n’arrivent à se fondre dans le moule parfait généreusement proposé. On va essayer en plus de faire un peu de sous sur le dos des pauvres, çà s’appelle élargir l’assiette fiscale, en les forçant à financer par l’impôt ce qu’ils doivent désormais de toutes façons acheter, santé, éducation, et à court terme justice.

Certains se disent même qu’il y a là une rare opportunité à faire n’importe quoi, supprimer ce qui ne rapporte pas directement, convaincus qu’ils ne peuvent que gagner la course puisqu’ils sont forcément meilleurs, surtout sans avantage concurrentiel et que les adversaires qui ont fait la même analyse vont surement abandonner le match avant la fin. La biodiversité qui est une valeur désormais durablement ancrée à gauche depuis une semaine ne s’applique ni aux entreprises humaines ni aux enseignements, seulement aux batraciens de basse Loire.

Les esprits chagrins et muselés objecteront en conscience que si le capitalisme et le libéralisme marchaient çà se saurait étant donné que c’est ce qui est en vigueur depuis des milliers d’années et a juste été vaguement relooké au 19eme siècle et plus récemment à travers la mondialisation. Ils ont tort çà marche très bien et quand çà marche pas on dit que çà marche et quand çà marche encore moins on passe au dogme et à l’intégrisme. Le Professeur G. Dabbleyoubee a bien analysé la séquence et astucieusement anticipé les conséquences de ses âneries en encourageant les électeurs à apprendre à prier un peu pour tout. Alors il ne faut pas s’étonner si un vibrionnant appel est lancé du saint fauteuil dans un tonnerre d’applaudissements pour que les titulaires d’un diplôme en bourrage de crane soient appelés à la rescousse de l’éducation nationale sinistrée.