Ceci n’est pas une crise

Et l’Amérique reste l’avenir

 

Paru dans la Tribune Libre #28
janvier 2009

 

Dans crise, il y a quelque chose d’instantané, de temporaire, qui s’évanouit comme ça vient. Crise a quelque chose de rassurant car suppose qu’on va revenir au temps passé, comme si de rien n’était. Il n’y a qu’à attendre. Mais il n’y a rien à attendre du passé dans le cas présent. C’est une rupture qui se produit en ce moment, sous nos yeux, une cristallisation de nombreuses causes qui convergent et amènent un système profondément instable qu’un rien peut faire basculer et qui va sans doute basculer. Pollution, surpopulation, capitalisme débridé, TIC, mondialisation sont les ingrédients du cocktail de réveillon 2008.

C’est un signe

Un signe survient, disparaît, mais reste lié à une cause qui perdure tant qu’elle ne trouve pas sa solution. La crise est un symptôme, un jet de vapeur qui s’échappe de la cocotte mais n’est ni la maladie ou le malade, ni la cocotte ou la soupe. Des rancœurs accumulées, des souffrances injustes et injustifiées ont abouti à l’intolérable. Ce n’est pas la qualité du béton américain qui est en cause ou alors il y aurait de quoi rebâtir la planète au vu des milliards qu’on postillonne dans l’éther. C’est la répartition des richesses produites par le travail et le sens des efforts consentis qui sont en cause. Car la faillite des banques n’importe, que dans la mesure où les maigres fruits du travail sont compromis par la cupidité de quelques uns. Autrement, qui se soucierait de la tristesse de l’actionnaire de Lehman ou de Fortis? Pas moi. La crise financière est un symptôme de quelque chose qui sourd lentement et qui est le rejet de l’exploitation de l’homme par l’homme. Des troubles sociaux vont évidemment naitre de l’incompétence et sans doute de la malhonnêteté, faisant le lit des terrorismes et des radicalismes. Les élites, en particulier politiques, qui ont mis l’embargo sur les décisions en s’intitulant un peu partout dans le monde et en particulier en France  «professionnels à vie de la politique» vont gouverner désormais des coquilles encore plus vides de la moindre confiance de la part de ceux d’en bas.

C’est une fin

Fin d’une illusion, fin d’une phase dans la lente, trop lente évolution de l’homme à la conquête de sa liberté, comme un enfant s’émancipe à petits pas d’une chute à l’autre pour se redresser enfin. Le pouvoir était divin puis héréditaire, médiatique et financier dans une belle harmonie où tous œuvraient pour quelques uns sans même en avoir conscience. Mais çà se termine. Même en supprimant les enseignants au profit de la marée chaussée on ne reviendra plus en arrière. Les écrits ont polymérisé et le catalyseur a été l’argent : pour en gagner plus il faut éduquer le travailleur, mais quand six  milliards d’individus éduqués se lèvent pour réclamer le fruit de leurs efforts, la terre tremble et le beau système vacille. Feu la nouvelle économie n’a rien été d’autre que l’art de vendre poussé à son paroxysme : il n’y a même plus d’eau vaguement propre à vendre, juste du vent, mais le prix du ruban vaut de l’or miroitant grâce à la pub. Faire prendre des vessies pour des lanternes donc, à grands coups de com’ , mais c’est difficile et volatile avec internet. Et sans vergogne, ceux qui ont empoché les dividendes sans investir viennent pleurer la misère auprès des contribuables pour que collectivement ils leur viennent en aide et financent la R&D qu’ils n’ont pas faite. Les fripons devraient se méfier pourtant… la communication a soudé les hommes de la mondialisation plus que les marchés et l’Europe des peuples marche bien mieux que celle des hiérarques. La dictature financière des marchés? Vaste blague car à force de prendre aux pauvres il n’y a plus de marché, aucun marché,  et à force de vouloir faire des marchés de taille significative, c’est-à-dire toujours plus rentables, les peuples prennent les commandes. Par sa seule taille, le marché est devenu incontrôlable politiquement, c’est-à-dire adulte.  Le capitalisme libéral a raté, comme va rater aussi, son partenaire, le cléricalisme administratif des normes en tous genres que produit l’Europe : la norme n’est pas le produit comme l’emballage n’est pas mangeable. Fin du modèle.

C’est la suite des crises précédentes restées lettres mortes. Leur fréquence, leur intensité mais surtout leur diversité augmentent, qui pourraient masquer le dénominateur commun qu’on ne veut pas voir. C’est l’humain, qui s’ébroue,  qui secoue les chaines des réseaux imposés, et qui veut retrouver sa nature spirituelle, pas forcément religieuse, qui ne veut faire que ce qu’il fait de mieux,  penser.  A force de ne regarder que la fonte des glaces, l’échauffement des hommes passe inaperçu. Pourtant elle couve dans les écrits depuis toujours cette soif inextinguible de liberté. Il fallait juste que les mots se rejoignent à des siècles de distance parfois, que les yeux s’accoutument à la lumière en sortant de l’obscurantisme, que les enthousiasmes résonnent à travers la planète. Il fallait du temps et que l’espace s’amenuise. Il fallait enfin l’écho c’est-à-dire un niveau de compréhension, d’appréhension, des conditions de vie pour que la résignation cède pour faire la place à la révolte. Les hommes ne veulent pas être dirigés contraints à tel ou tel système: ils veulent être simplement  heureux mais errent dans cette quête d’un marchand d’illusions à l’autre depuis des millénaires, faute du savoir longtemps interdit qui fait le choix. Mais les masques sont tombés grâce aux TIC. Les intouchables sont touchés par la grâce universelle du savoir même si ils sont encore un peu maladroits et égarés de temps à autres.

C’est un combat de rue de village désorganisé, au cours duquel les rixes interfèrent, les intérêts divergent et les ensembles se heurtent comme les plaques tectoniques, mais les chocs, la multiplicité des conflits ne doivent pas cacher les pierres, les rocs, qui sont les plaques. Elles dérivent lentement , flottant mal maitrisées sur le feu invisible selon des lois trop vastes pour être comprises, mais elles sont faites par le sable et les pierres et n’ont même de sens que grâce à eux. Il y a l’islam fondamentaliste qui se heurte au capitalisme ou au communisme, il y a l’Amérique qui jette ses milliards à la tête des autres et les autres qui ripostent d’une volée d’euros bien placés. Tous virtuels, tous empruntés, tous putatifs, dans une sorte de nouvelle économie politique qui aboutira au grondement du canon quand les prêteurs voudront réclamer leurs biens aux apprentis Madoffs planétaires. Il y a encore et toujours l’est contre l’ouest,  avec en plus le sud contre le nord. Il y a le pétrole qui s’évapore au même rythme que l’eau devient impropre à la consommation. Il y a les générations qui se choquent et la femme qui découvre les secrets du savoir des hommes. Les territoires n’existent plus, les règnes sont dissous, la représentation n’est plus. La copie ne vaut plus rien. Seul l’homme dans son individualité existe.

C’est un début

Pas d’une nouvelle ère, simplement d’une nouvelle époque dans la lutte du cercle vertueux «culture-éducation-innovation-réalisation-financements» contre le cercle vicieux «pouvoir-contrôle des profits-contrôle des individus-corruptions- violences». Ces deux cercles sont antinomiques, incompatibles, opposés. Irrésistiblement le vertueux progresse quoique lentement et par à-coups.  L’Amérique reste l’avenir car sa structure permet les bouleversements quand ils sont nécessaires, car inventer y a un sens. L’Europe a semble-t-il pour vocation de ne pas faire rêver et s’embourbe dans  des traités inutilisables, ses dirigeants incapables de penser autrement qu’en freinant  le cercle vertueux. Traumatismes irrémédiables des guerres du siècle dernier? Mais ses dirigeants devront un jour se voir comme ils sont : des dinosaures aussi coupés que possible des peuples. Or, en 2009, comme depuis toujours, c’est l’adhésion au projet des peuples, la cohérence des hommes qui forge l’avenir, pas l’illusion du pouvoir sécuritaire à visée séculaire.

C’est un rêve

L’humanisme, seul modèle valide car non encore utilisé, représente la dernière chance de l’homme.