Crise politique et professionnalisation des élus

Parmi les causes possibles de l’abstention lors des scrutins, la professionnalisation des politiciens n’a été, à dessein, que peu évoquée dans les médias. C’est pourtant bien elle qui est cause de la défiance des peuples citoyens, vis-à-vis des élus. La dérive transformant un élu en un professionnel, comporte des contradictions essentielles, criantes, avec l’exercice même de la démocratie.

La dépendance aux médias

La première est la connivence avec les médias. Pour sortir du vivier il faut être le plus gros avec les plus grosses pinces, ce qui permet la médiatisation. Ce sera celle de toute une vie, ce qui suppose des amitiés avec des structures privées bien peu indépendantes du pouvoir financier à l’exception, dit-on de La Croix et de Médiapart. Petit et donc inconnu des médias, l’élection sera à jamais impossible. Or la qualité de la pince, la couleur du cocker de madame ou la forme des lunettes de soleil ne devraient pas influer sur le choix citoyen.

La dépendance aux corps intermédiaires

Le second obstacle est la collusion avec les corps intermédiaires, administrations et syndicats, qui font tampon entre les « élus » et les citoyens. Pour gouverner, il faut s’assurer des bonnes grâces des courroies de transmission sans quoi bilan et réélection sont compromis. Ce serait parfait si le système était irréprochable. Or il n’est formé que d’humains empilés en strates, chacun dépendant pour sa promotion du bon vouloir du dessus. La justice et l’enseignement supérieur sont emblématiques. Chacun revendique une indépendance vis-à-vis de l’« élu ». Or, les administrations n’ont pas à être indépendantes mais à mettre en œuvre les politiques décidées par les représentants des citoyens. Ce qui cloche est la dépendance de « l’élu » aux corps intermédiaires du fait de sa professionnalisation. Les politiques font clamer par leurs Héraults « je suis élu pour 5 ans donc j’ai légitimité à faire » sans écouter le citoyen, seulement les juges suprêmes, en vertu de la notion de l’État de droit. Les politiques au prétexte de la stabilité de cet État, sont intouchables sauf médiatiquement. Simultanément les juges professent « la justice n’est pas la vérité » ou « j’ai l’intime conviction ». Ainsi, puisque le politique tire légitimité et protection de la Loi, tout devient possible sans sanction: déni de présomption d’innocence, médiatisation des instructions, écoutes plus ou moins sauvages, condamnations sans preuves « dures ». Qu’est la mise en examen révélée sinon une ordalie inquisitoire ?

Partenaires sociaux : terme abusif

Dans l’enseignement supérieur, concernant notre avenir commun, ceux qui décident sont dits partenaires sociaux votant « pour leurs ressortissants », quelle que soit leur représentativité et échappant totalement au contrôle politique ou citoyen. Le terme est en lui-même abusif : s’ils sont partenaires des politiques, les politiques sont aussi leurs partenaires pour qu’ils continuent à recruter des cotisants. Leur faible représentativité aux élections prudhommales interdirait l’adjectif « sociaux ». L’appartenance à une organisation de type privée devrait exclure de la possibilité de vote alors qu’elle est condition sine qua non de vote au sein de l’université, CNRS ou INSERM. Alors que payer son écot à telle organisation n’est pas garantie de qualité, voter est valorisé dans les curriculum vitae permettant en retour nominations ou promotions.

Justice et enseignement supérieur sont adossés à de multiples commissions internes, n’admettant pas d’opinions contraires et faisant confiance totale à des experts, certifiant la preuve, par le mot, voire s’y substituant. Référer exclusivement aux organisations professionnelles au prétexte de l’indépendance est une aberration dangereuse. Comment en sortir une fois que la preuve serait éventuellement faite que le CNM ne ferait pas mieux l’affaire que les CNU sinon par un coup d’État ?

Tradition médiévale

La professionnalisation politique est conséquence de concepts anciens. Comme il y a des peuples élus il y a aussi d’heureux élus qui cherchent à se faire adouber des peuples-dieu, puis à persister d’une institution à l’autre. Le lustre et la pompe sont des chapeaux à plumes. Bronzes de ci-devant, érection d’arches triomphales, sont pyramides pour une éternité qui pourrait oublier l’élu. La prééminence du mot sur l’objet du mot dans la Loi, est la persistance de textes sacrés, appelés désormais constitution ou code, symboliques mais destinés au réel. Enfin les diffuseurs d’images perpétuent la tradition médiévale frappant les esprits maintenus dans un analphabétisme optimal. Il s’agit de vivre pour produire sans réfléchir. Le problème est que c’est vrai aussi pour les politiques et les corps intermédiaires.

Le citoyen finit par trouver que les succès des dirigeants sont loin de ceux de Rambo mais que sa liberté est de plus en plus entravée. N’ayant aucune confiance en des gens qui semblent ne savoir que durer, il n’a plus de foi, ce qui exclut toute croissance.

Alors le dimanche, voltairien découragé plus que croyant, le citoyen s’occupe de son jardin maîtrisant au-moins le carré de son potager, espérant qu’un jour le rêve reviendra.

Thierry PATRICE