Une Europe sociale à construire

Par Jacques CROCHET
Tribune Libre #54 , février 2014

 

Les élections du Parlement Européen de Mai 2014 vont permettre aux citoyens des États membres de choisir, par leur vote, les options que l’Union Européenne doit retenir pour les cinq années qui viennent que ce soit en terme de redressement économique, d’emploi et de qualité de vie.

Construire un modèle économique et financier durable pour l’avenir est le principal objectif.

Les choix politiques se partagent actuellement entre austérité et croissance. La volonté de résorber les déficits et d’appliquer des réformes structurelles s’oppose à la crainte que l’austérité condamne une croissance encore fragile. L’option retenue aura une forte influence sur les différentes politiques menées.

Les Français, qui ont une opinion assez réservée vis-à-vis de l’Europe en général, sont critiques sur le manque d’harmonisation sociale entre Etats, sur les effets néfastes sur l’emploi, et globalement sur la prééminence de l’économique sur le social dans les politiques européennes.

Existe-t-il en fait une Europe sociale ? Cette question conditionne la confiance et l’adhésion des citoyens vis-à-vis de la politique européenne.

Peut-on parler de modèle social européen ?

Il est constitué par l’ensemble des systèmes de protection sociale des différents Etats européens, auquel s’ajoute la Charte des Droits Fondamentaux. Notons que ces dispositions s’appliquent aux Etats dans un principe de subsidiarité.

Ce Modèle Social Européen n’a pas d’unicité. L’élargissement de l’U.E. a augmenté la diversité des politiques sociales. Il y a incontestablement une volonté politique de réformer les systèmes sociaux nationaux, en tenant compte de la mondialisation de l’économie, du vieillissement de la population et de l’accentuation de la concurrence entre Etats. Il y a un consensus sur les objectifs généraux. Mais ce n’est qu’un socle de rapprochement basé sur des valeurs communes, chaque pays gardant sa compétence exclusive. La mise en œuvre des réformes retenues a provoqué des résultats variables, et souvent aggravé les inégalités économiques et sociales.

Pas d’échappatoire possible ?

Ce Modèle Social Européen est contesté. Il est considéré par certains comme un obstacle à la croissance, à la compétitivité et à l’emploi. Pour Mario DRAGHI, le président de la Banque Centrale Européenne, il est déjà mort. Il déclarait déjà en 2012 : « Il n’y a pas d’échappatoire possible à la mise en œuvre de politiques d’austérité très rudes dans les pays surendettés. Cela implique de renoncer à un modèle social fondé sur la sécurité de l’emploi et une redistribution sociale généreuse. »

Quel avenir peut-il donc avoir face au surendettement des Etats membres et à la crise financière mondiale? Est-il un atout pour contribuer à son règlement?

Un modèle pas simple à défendre

L’élargissement de l’Europe à des pays aux politiques sociales moins avancées a entraîné un repli sur soi des autres Etats membres peu soucieux de réduire leur niveau de prestations sociales.

Pour les nouveaux membres l’intérêt d’une législation européenne commune est d’améliorer rapidement leur situation sociale avec l’application de normes planchers.

Il n’est donc pas simple de défendre aujourd’hui un modèle social européen.

Il ne peut exister que dans une économie de marché régulée, avec un véritable dialogue social au sein de chaque Etat, et surtout un fort consensus sur les principes de solidarité sociale et d’égalité de droits.

Il faut donc définir un nouveau pacte social adapté à une croissance plus faible, et surtout tenant compte de la diversité des Etats membres en matière sociale.

Un modèle facteur de cohésion et d’intégration

Il ne peut y avoir de réelle politique sociale européenne, comme le pense Jacques DELORS, sans renforcer la gouvernance de l’Europe, sans assurer une mutualisation financière à minima, et sans des règles de discipline acceptées par tous.

Sous ces réserves, ce modèle social peut être un facteur de cohésion et d’intégration. Il doit devenir un objectif pour tous les Etats membres et leurs citoyens, au même titre que des objectifs de croissance du PIB, de désendettement, ou de défense de l’emploi.

Réformer notre modèle national

Notre modèle social français, usé et à rebâtir, devra être compatible avec la construction européenne. Il devra être réformé pour lutter contre un mélange de corporatisme et d’étatisme source des dysfonctionnements actuels : Trop d’Etat, une fiscalité lourde, une sécurité sociale trop coûteuse, un code du travail rigide, une insuffisante durée du travail, un endettement trop élevé…

Ce n’est pas une réglementation européenne qui nous réformera, c’est nous qui devons nous réformer pour jouer pleinement notre rôle dans cet ensemble encore fragile, et qui reste à construire.