Note de lecture Tribune Libre #60 par Jacques Crochet

Le Bon Gouvernement de Pierre Rosanvallon

Dans ce quatrième volet de son enquête sur la mutation des démocraties contemporaines, « Le bon gouvernement », Pierre Rosanvallon, Professeur au Collège de France, développe une critique sur la gouvernance de nos démocraties occidentales. Son ouvrage veut ouvrir un chantier de réflexions à l’amélioration du fonctionnement de nos Institutions.

Pour lui nos régimes sont démocratiques car ils sont consacrés par les urnes, mais leur gouvernance ne l’est pas. Il affirme que l’action de nos gouvernements ne respecte pas suffisamment les règles de transparence, d’écoute et de réactivité vis à vis des demandes des citoyens.
Il développe donc l’idée que la démocratie rencontre, non pas un problème de représentation, mais de gouvernance.

Il décrit les différences entre la « démocratie d’élection », et la « démocratie d’exercice ». De réels progrès ont été réalisés pour démocratiser l’élection, à savoir, le système des primaires, la parité ou la limitation du nombre des mandats. Mais passé le temps de l’élection, il n’y a aucune réflexion sur la pratique gouvernementale.
Il propose donc de déplacer l’analyse, et d’explorer les liens entre gouvernés et gouvernants.

Il veut comprendre les mécanismes de ce qu’il appelle « le mal-gouvernement » et contribuer par son approche à définir les conditions d’une nouvelle approche de la démocratie.

Son constat sur les pratiques actuelles est sévère. Il considère que la démocratie élective a régressé. Les partis politiques, dont le nombre s’est fortement réduit, se sont professionnalisés. Faire de la politique est un métier. On fait carrière ! Le militantisme baisse fortement. L’engagement est au service de soi même. La classe politique vit de la politique.

Il dénonce aussi le culte de l’impersonnalité. La normalisation et donc la banalisation du charisme ne contribuent pas à rapprocher les citoyens de leurs élus. L’exécutif est désormais le cœur du pouvoir, au détriment des partis.
L’élection du Président de la République au suffrage universel a été selon lui un véritable choc, avec un transfert de pouvoirs sans limitations. Cette élection est considérée comme un point final dans notre système. A l’exception gaullienne, a succédé une présidentialisation généralisée. Mais la démocratie présidentielle reste à créer !

Son ouvrage rappelle les aspirations et les réflexions qui émanent de la société civile au sujet des qualités attendues de nos gouvernants, et les règles d’organisation qui devraient régir les rapports entre gouvernants et gouvernés.
L’encadrement de l’action gouvernementale reste à définir. Un examen des autres pays européens montre que le Parlementarisme y est faible, et que l’on rencontre plus généralement des formes de Présidentialisme masqué.
Nos sociétés démocratiques sont fragmentées par les inégalités. Les politiques menées n’ont pas contribué à les réduire. Il souhaite par ses propositions faire sortir notre système du cycle de la répétition et de la décomposition.

Pour éviter que « la démocratie nous file entre les doigts », il affirme que toute forme de démocratie participative est à encourager. Internet est pourtant relativement peu abordé dans son ouvrage. Il est conscient que grâce aux réseaux sociaux, l’opinion peut se manifester. Mais il n’insiste pas beaucoup sur cette vraie force matérielle qui ne demande qu’à être canalisée.
La Technique pourra-t-elle contribuer à redynamiser le processus démocratique ? La société va-t-elle évoluer et se modifier grâce à l’ouverture de l’Open Data ?
Il n’apporte pas vraiment de réponses, et pourtant cela semble une condition de bon gouvernement du 21ème siècle tel qu’il le souhaite.

En conclusion, un ouvrage très complet, un plaidoyer pour reconnecter la Société Civile aux gouvernants, en les associant davantage aux décisions, pour encourager l’évaluation des politiques publiques par les citoyens, pour augmenter la lisibilité et la prise de responsabilités dans les rapports gouvernés/gouvernants.

Une révolution culturelle à mener chez ceux qui nous gouvernent !

Jacques Crochet

 

Crédit Photo : Ivo Gonzalez pour O GLOBO

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Le Bon Gouvernement
de Pierre ROSANVALLON,
Éd. du Seuil, août 2015.


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Tribune Libre #60