Article de Thierry Patrice - Tribune Libre #64

La suite de l’avenir

L’humanité du 21ème siècle est très contrastée en termes d’organisation sociale. Sur fond de démographie galopante quasi universelle, l’humanité du 21ème siècle est divisée en deux par l’irruption de technologies d’automatisation. Toute tâche répétitive est réalisable par une machine comme la réservation d’une place d’avion, un examen médical ou le pilotage de l’avion. Il y a un demi-monde qui possède ces technologies et un autre qui fonctionne à la force humaine pour la reproduction des tâches. Quel avenir pour ce monde irréconciliable ?

Technologie versus travail : deux mondes irréconciliables ?

Dans une première approche, l’avenir est possédé par ceux qui détiennent les technologies et l’autre partie cherchera à s’en emparer. Ce scénario serait générateur de violence sur une échelle jamais atteinte du fait des moyens guerriers disponibles et de la démographie.

Un autre scénario dépend de l’impact de l’automatisation sur l’organisation sociale de ceux qui la possèdent. Quel que soit le système politique en vigueur, l’organisation est pyramidale. Issue de l’héritage religieux, puis politique, puis économique, intriqués pendant des millénaires, ce système est auto-entretenu par son propre développement, à la manière d’un vélo qui tomberait quand on arrêterait de pédaler. Ce développement est appelé la « croissance ». Pour que le système fonctionne il faut des différences sociales et salariales notables, des vendeurs et des acheteurs, donc des désirs et des moyens permettant de les satisfaire. Or l’argent n’est pas une entité virtuelle. Sa valeur est indexée sur des valeurs étalon, par exemple l’or ou l’énergie, donc sur le travail résultant de cette consommation d’énergie. Il faut donc des produits, fabriqués grâce à de l’énergie à un prix suffisamment attractif par rapport aux performances. Il y a alors nécessité d’innovation pour accroître les performances et la recherche de productivité afin de faire baisser les couts, les prix de l’énergie étant identiques car organisés mondialement. Mais qu’est une productivité lorsque la fabrication est réalisée grâce à la technologie, sans travail humain, à couts d’énergie constants ? Si la productivité ne peut s’améliorer, seule l’innovation apportera alors une valeur ajoutée.

L’innovation comme bien commun

Or depuis la déclaration universelle des droits de l’homme de 1789 et ses articles 1 à 4 [1], la propriété intellectuelle est encadrée par les patentes introduites sous la Révolution par la loi du 7 janvier 1791.Une idée appartient en premier à la nation et non à l’individu qui ne peut exercer de pouvoir à travers elle.

L’innovation ou la création, par essence d’origine intime, dépendent exclusivement du zèle, c’est-à-dire de la bonne volonté de l’individu à donner aux autres. Un système dépendant quasi exclusivement de l’innovation impliquerait donc a priori :

  • une politique de recherche basée sur l’originalité.
  • une redistribution massive des gains sans quoi personne n’achèterait et aucune innovation ne verrait plus le jour. Il ne s’agit pas d’un salaire minimum « décent » mais de taxer l’automatisme comme hier la vidéo, au lieu du travail évanescent. Réduire le coût du travail est un cache misère dangereux.

Un monde à deux vitesses

Qu’en est-il maintenant des communautés « en développement » ? Elles passent par les étapes franchies lors de la révolution industrielle[2] mais avec un « retard » qui augmente sans cesse, si être développé est fin en soi, car nous vendons des technologies amorties. Ces sociétés doivent utiliser de l’énergie humaine, c’est-à-dire du travail rémunéré, pour s’offrir des biens obsolètes, ce qui prend du temps. Si notre travail disparait nous tombons en panne alors que les pays moins développés restent en marche avant. La situation n’est pas celle d’un bloc développé agressé par un bloc moins développé, mais un bloc « de luxe » en panne qui ne survit que grâce à un bloc pauvre encore en mouvement. Vaut-il mieux une Rolls Royce en panne ou une deux-chevaux poussive mais qui roule par elle-même ?

La situation n’est pourtant pas figée, deux raisons à cela : le bloc « pauvre » voyant la triste allure du carrosse pourrait être tenté de ne pas atteindre ce stade. Le bloc « de luxe » pourrait réagir avant que l’immobilisme total ne le gagne et tolérer un certain degré de sous-développement, c’est-à-dire admettre une part de risque.

Éloge de la lenteur…

Pour l’humanité demain sera forcément un progrès et toute action humaine se traduit par une diminution du chaos originel. Une fois né, l’humain doit obéir à sa mission divine : avancer et conquérir tout le reste, ce qui implique progrès et travail éternels. Or, il n’est pas certain que cette option mystique, dont le capitalisme mondialisé est une conséquence, soit la plus vraisemblable.

L’arrêt de développement n’est ni envisageable ni envisagé. Puisque toutes les espèces sont soumises au darwinisme et qu’il n’interdit pas stagnation ou disparition, pourquoi le progrès issu d’une espèce serait-il éternel ? Pourquoi l’humain échapperait-il justement à la théorie dont il est le plus fier, l’évolution ? Le mot progrès n’a aucun sens en biologie. Le progrès social n’est pas éternel non plus : les empires prévus pour durer mille ans ont connu mille déboires.

Si se développer éternellement n’est pas satisfaisant, en quoi consisterait un arrêt de développement ? L’effet produit est difficilement imaginable puisque jusqu’à présent les arrêts étaient accidentels et que personne n’a survécu pour raconter l’expérience. Nous devons donc entrer dans le monde de la fiction et imaginer non pas un monde merveilleux de techniques miraculeuses mais un monde en pause ou en arrêt tant que nous n’aurons pas adapté notre démographie aux ressources.

Par Thierry Patrice

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution

Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Art. 3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

 

[2] Paul Bairoch, Victoires et déboires. Histoire économique et sociale du monde du XVe siècle à nos jours, Gallimard 1997