Article de la Tribune Libre # 63 par Anouk Grayon

LA PRISON « HORS LES MURS », UNE RÉVOLUTION DE LA PEINE

Dominique Raimbourg dans son ouvrage « Prison, le choix de la raison » propose de faire exécuter les peines de prison en dehors des établissements pénitentiaires. Une solution pragmatique mais qui bouscule l’économie contemporaine de la peine.

Parce qu’elle induit des conditions de détention indignes, qui entravent l’exercice du travail de réinsertion à l’intérieur des établissements, et favorisent ainsi la récidive à la sortie, la surpopulation carcérale constitue une entrave majeure à la fonction de réhabilitation individuelle et collective du condamné assignée à la prison[1].

Dès lors, pour rendre à la prison son utilité sociale, Dominique Raimbourg propose, entre autres solutions, de généraliser l’exécution des peines à l’extérieur des établissements pénitentiaires. C’est donc la matérialité de la peine qui se trouve remise en question, et avec elle deux fondements majeurs.

CONDAMNER SANS ENFERMER, UNE ALTERNATIVE ACCEPTABLE PAR L’OPINION PUBLIQUE ?

Le premier est lié à la fonction symbolique attribuée à l’enfermement. A la suite d’un long processus amorcé au milieu du 18ème siècle, la peine, qui, au départ, devait inscrire la marque de la répression pénale sur le corps même du condamné, a basculé vers une forme que Michel Foucault appelle « incorporelle »[2], où la sanction pénale atteint la liberté du sujet, considérée, après la vie, comme le bien le plus précieux.

Aujourd’hui encore, c’est parce que le système pénal reste garant de l’effectivité de cet enfermement que le corps social accepte de lui déléguer la sanction des actes de violence commis par certains de ses membres. Repositionner la prison à la marge implique donc de renégocier un nouveau consensus collectif autour d’une requalification de la peine et de sa valeur.

DONNER A VOIR L’EXÉCUTION DE LA PEINE ?

Le second repose sur la différenciation opérée entre condamnation et exécution de la peine, introduite à partir du moment où la justice, délégitimée par le peuple qui considérait que le spectacle du supplice égalait trop en barbarie le crime qu’il punissait, n’a plus souhaité mettre en scène publiquement la part de violence inhérente à son exercice.

Dès lors, si la condamnation, prononcée par des juges au nom du peuple français, matérialise l’opprobre suscitée par les faits commis et, de ce fait, se doit d’être visible, l’exécution, qui met en actes les atteintes portées au condamné, doit au contraire faire l’objet d’un « enfouissement bureaucratique »[3]. Instituer comme cadre de référence une prison « hors les murs », c’est donner à voir ce qui ne doit pas l’être. Est-ce que la société y est prête ?

Ainsi, l’approche rationnelle défendue par Dominique Raimbourg pour dépasser les clivages stériles, apporte des réponses concrètes, mais fait aussi émerger des questions essentielles.

 

Par Anouk Grayon

[1] « Le régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions », article 707, II, du Code de procédure pénale.

[2] M FOUCAULT, Surveiller et punir, éditions Gallimard 1975, Paris

[3] M FOUCAULT, ouvrage cité