Groupe de réflexion : Démocratie locale 2032

Témoignages d’élus et d’experts de la participation citoyenne #1

Bassem Asseh

Adjoint de la maire de Nantes, chargé du dialogue citoyen

 

Entretien réalisé en juin 2019 dans le cadre des travaux de réflexion de l’Insitut Kervégan sur l’avenir de la démocratie locale.

 

Bassem Asseh : Je suis élu de Nantes, adjoint de la maire chargé du dialogue citoyen, et c’est mon premier mandat. J’ai été élu en 2014 et auparavant j’avais un engagement politique, mais avec mon travail je me disais que je n’avais pas le temps d’être un jour candidat et encore moins élu.

De l’extérieur, on imagine qu’en politique il faut connaître plein de monde. Dans mon cas ce n’était absolument pas ça, au contraire, je pense même que ça m’a servi de ne pas être connu, puisque le jour où Johanna Rolland a demandé si quelqu’un s’opposait à ma candidature, personne n’a rien dit puisque personne ne me connaissait ! Quand on a gagné les élections, je suis donc devenu adjoint au dialogue citoyen. C’était un sujet vraiment important pour la maire, au coeur de sa campagne.

J’étais loin d’être spécialiste, mais dans son esprit c’était intéressant de prendre quelqu’un de nouveau, un peu dans la catégorie des gens que l’on aurait souhaité voir plus souvent dans les temps de concertation. Je pouvais me mettre dans la peau de ceux qui ne viennent pas, pour chercher des solutions pour les faire venir. L’image que les gens se font du dialogue citoyen, qui est de moins en moins vraie, ce sont les conseils de quartier où les gens qui viennent sont uniquement ceux qui ont le temps, en l’occurrence les retraités. Le résultat ne reflète alors qu’une partie des besoins de la population. Les usages de parents ne sont évidemment pas les mêmes que ceux de retraités ou de jeunes, il faut pouvoir entendre tout le monde.

Je considère que le dialogue citoyen permet d’avoir des politiques publiques plus pertinentes : comment faire en sorte que les services publics, qui sont la traduction de la politique, soient efficaces ? À Nantes, on a déjà commencé à penser comme ça depuis quelque temps déjà. Cela a permis d’installer une culture partagée entre les élus, mais aussi entre les services et les habitants. Ce n’est pas le genre de choses qu’on peut installer dans une ville par un claquement de doigts. Mais bien sûr tout n’est pas parfait.

 

IK : Quel le rôle de la maire dans ces débats locaux?

Bassem Asseh : Elle a construit sa campagne de 2013 autour du dialogue entre les candidats et les citoyens. Quand elle est devenue maire, c’était donc acquis : elle a donné l’impulsion d’en haut. Je fais exprès de dire “d’en haut” parce que le mode de scrutin et la culture politique locale restent centrés autour la figure du maire.

Certains amis me demandent à quoi sert encore l’élu, comme si le dialogue citoyen se substituait à l’élu. Ce n’est pas le cas, et on insiste sur les mots : il s’agit de dialogue citoyen, c’est plus explicite que démocratie participative, il ne faut pas mélanger les concepts. Il s’agit pour nous d’un complément qui permet à l’élu et aux services d’écouter ce que les citoyens ont à dire. Réciproquement, il permet aux citoyens de dialoguer avec les services et les élus pour connaître les tenants et aboutissants d’un projet avant sa réalisation. On ne construit plus la ville aujourd’hui comme il y a 40 ans.

Il faut préciser que les élus ne sont pas présents tout le temps pendant le dialogue citoyen. Ils peuvent expliquer le contexte, mais ils laissent ensuite entre eux les citoyens et éventuellement les techniciens. Il ne faut pas que l’élu influence le débat. Les points de vue peuvent être contradictoires, et parfois il y a un vrai dissensus. Mais la plupart du temps nous arrivons à un consensus, car les sujets ne sont pas toujours très clivants. Ce sont des sujets du quotidien, parfois stratégiques, mais rarement politiques dans le sens politicien du terme. C’est cette confrontation des idées et des points de vue qui permet d’avancer et en principe d’améliorer les projets et les politiques.

 

IK : Est-ce que vous pouvez nous raconter une expérience de dialogue citoyen qui vous a marqué?

Bassem Asseh : Je peux vous en citer deux très différentes. Le premier projet n’est pas encore sorti de terre, mais va venir vite. À Nantes Nord, dans un quartier populaire, des professionnels de santé voulaient se regrouper dans une maison de santé. Cela faciliterait leurs échanges donnerait de la lisibilité aux patients. On aurait pu tout décider sans les citoyens, mais non. Il faut que les citoyens, les patients, aient leur mot à dire aux côtés des professionnels de santé. Le dialogue a duré quelques mois avec un prestataire externe. Sont même venues des personnes que l’on considère comme un public éloigné parce qu’ils ont déjà beaucoup de difficultés économiques et sociales. Comme c’était une question de santé publique, qui touchait à leur intimité, à leurs enfants, ils ont donc participé ! À la restitution, ils sont venus parler tous ensemble. Pour moi, c’est un vrai succès parce qu’on a réussi à faire s’exprimer les gens sur quelque chose qui touche à leur quotidien.

Un deuxième exemple avec l’aménagement d’un espace public emblématique : la place de la Petite Hollande. On a constitué un panel citoyen de 30 personnes : des riverains, des Nantais, des Métropolitains, moitié hommes, moitié femmes, avec une partie tirée au sort et une partie sur candidature. Ce panel a analysé les propositions des quatre groupements d’urbanistes et paysagistes qui ont répondu au concours international. L’objectif n’était pas de choisir, mais d’analyser le travail de chacun. Deux des citoyens du panel ont ensuite intégré le jury – composé d’élus et des services – qui a sélectionné un candidat.

Un nouveau panel citoyen a ensuite affiné le cahier des charges avec celui-ci. L’avis citoyen du panel a tout juste été remis. Les services de la ville vont donc l’étudier et donner une réponse finale aux citoyens et au cabinet.

La place de la petite Hollande, c’est central à Nantes et dans la Métropole. Les transformations de cette place vont complètement modifier le visage de Nantes à horizon 10 ans. Cela influe vraiment sur la morphologie de la ville, sur ses usages. Impliquer les citoyens sur un sujet de cette importance est essentiel.

J’ai pris des exemples qui prennent du temps, mais on a fait la même chose sur le Jardin des Capucins le quartier Quartier Hauts-Pavés-Saint Félix par exemple, sur des dimensions plus restreintes donc plus rapides à mettre en oeuvre.

 

IK : Quelles difficultés avez-vous rencontrées au cours de ces temps de dialogues?

Bassem Asseh : Il y a bien sûr la question des publics éloignés. Comment fait-on pour faire participer des profils variés ? On est dans une logique de panels diversifiés, pas de sondage représentatif, mais cela ne fonctionne pas si tout le monde est sociologiquement très proche. On a besoin que les profils soient différents pour qu’il y ait vraiment un débat, sinon cela ne sert à rien. Or on sait qu’il y a des publics éloignés, par exemple les jeunes qu’on a du mal à faire venir. Les gens de 16 à 25 ans, ce n’est pas évident de les attirer dans ces dispositifs.

On avait du mal aussi à attirer les jeunes parents actifs. On essaie donc de mettre en place des mécanismes pour réussir à les attirer. On a adapté les horaires, comme faire ça le samedi matin ou si c’est le soir, on installe aussi une garderie. On varie les lieux, on évite que cela soit trop institutionnel.

En France, à l’échelon national, il y a une défiance importante entre les électeurs et les élus. On a besoin de restaurer la confiance pour que le dialogue citoyen s’établisse. On doit faire comprendre que c’est aussi dans notre intérêt à nous, élus, que leurs besoins et leurs avis soient bien pris en compte. On doit donc être très transparents. Il faut expliquer les choses et accepter le dissensus, ce n’est pas grave. On ne veut pas être dans l’illusion du consensus. Pour établir la confiance, on a essayé d’avoir des projets rapides, pour faire la preuve que des choses peuvent changer avec l’avis des citoyens en six mois, comme le jardin des Capucins.

Voilà donc les deux difficultés que nous avons travaillé à surmonter : réussir à attirer les publics en modifiant les façons de faire et d’autre part réussir à faire la preuve qu’ils peuvent nous faire confiance.

 

IK : Sur ces cinq dernières années, est-ce qu’il y a une évolution du dialogue citoyen ? Est-ce qu’il y a une meilleure prise de conscience des élus, des techniciens ou des citoyens?

Bassem Asseh : J’ai du mal à juger parce que c’est mon premier mandat, je ne peux pas comparer avec les périodes précédentes. Ce qui est certain c’est que les conseils de quartier ont opportunément été remplacés par des assemblées générales où vient qui veut. C’est autre chose d’avoir 70, 100 personnes qui viennent deux fois par an pour s’exprimer, plutôt qu’une réunion d’une douzaine de personnes. Il y a clairement une avancée, avec des profils beaucoup plus diversifiés et des sujets nouveaux qui peuvent être mis à l’ordre du jour par les citoyens eux-mêmes. Ils en parlent lors de rencontre de quartier et notre intérêt à nous, c’est de régler le problème, pas de les mettre sous le tapis.

Après, on n’est pas encore dans la capacité d’appliquer la démarche de dialogue citoyen sur 100 % des projets qu’on lance. Dans certains cas, ce n’est pas possible parce qu’il y a des contraintes juridiques et techniques qui font qu’on n’a pas de marge de manœuvre, ce n’est pas la peine de fixer la barre trop haut dans la concertation et ensuite de créer des frustrations. Et puis il faut de la disponibilité, des compétences, du temps, pour mener ces travaux en amont des projets et ce n’est pas toujours quelque chose dont on dispose. Donc il y a parfois des arbitrages à faire.

 

IK : Et vous, dans votre pratique d’élu, qu’est-ce que ça change d’avoir encore plus de dialogue citoyen?

Bassem Asseh : Pour les politiques c’est une forme de révolution de faire ça. Ça l’est moins aujourd’hui, mais ça l’était il y a cinq ans. Mais dans mon activité professionnelle, c’est normal de procéder comme cela. J’exerce un métier lié au numérique où tout le monde sait que si vous faites un projet sans avoir pris en compte l’avis de vos futurs utilisateurs, il a de bonnes chances de se planter. Si vous avez pris en compte leur avis en amont, et si vous testez les choses avec eux au fur et à mesure de la réalisation du projet, alors cela fonctionne. Si on le fait pour des sujets simples et qui ne servent parfois à rien, pourquoi on ne le ferait pas pour des projets structurants pour notre avenir, pour notre vie en commun ? Pour moi il est évident que c’est comme ça qu’il faut faire.

Mais je ne suis pas de ceux qui considèrent que la solution à tous nos problèmes c’est l’horizontalité et la démocratie participative partout. L’une des caractéristiques de la démocratie, c’est que quelqu’un est responsable et rend compte de cette responsabilité. Or si vous faites tous vos choix sur la base d’une démocratie directe et vous faites le projet en fonction de ce sondage par exemple, qui est responsable en cas d’échec ? Pour moi c’est toujours l’élu qui est responsable, qui rend des comptes. Idéalement, la politique devrait être l’articulation entre l’expertise d’usage des citoyens et le leadership des élus qui permet de prendre des décisions dans l’intérêt général. Il faudrait, autant que possible, réussir à articuler ce côté horizontal du dialogue citoyen avec le côté vertical du leadership issu de l’élection.

 

IK : Dans les cinq ou dix prochaines années, comment pensez-vous que va évoluer le rôle du maire dans ce dialogue avec les citoyens?

Bassem Asseh :  Ce n’est pas évident d’imaginer l’avenir, on voit bien que tout change autour de nous très vite. Je pense que plus on va avancer et plus le maire d’une collectivité ou plus généralement le président d’un exécutif d’une collectivité aura besoin d’être à l’écoute des citoyens, pour ce côté horizontal que j’ai nommé tout à l’heure et aussi d’assumer le côté vertical, parce que la population le demande aussi.

Quand beaucoup de pays autour de nous ont recours au bulletin populiste, c’est qu’il y a une demande d’autorité, un rejet de l’impuissance politique. La personne qui arrivera à articuler le côté horizontal et le côté vertical, je pense que lui ou elle aura réussi quelque chose d’important. On tend vers cela : des maires à l’écoute ou des présidents d’exécutifs locaux ou nationaux à l’écoute de ce que leurs citoyens ont à dire, avec la capacité de traduire cette écoute-là en décision politique efficace. Si au niveau national, régional, départemental, local, on est capables d’écouter ce que les gens ont à dire et d’en tirer les conséquences et agir, alors la puissance publique redevient une puissance publique.

Aujourd’hui, je pense que parmi les choses que les électeurs reprochent aux élus, c’est leur impuissance. Mais ce n’est pas vrai au niveau local. Quand vous décidez de réaménager le parc des Capucins ou d’instaurer une nouvelle mairie de quartier à Nantes Sud, vous savez le faire, vous n’êtes pas bloqué par les règles internationales. Je pense que pour l’avenir la question de l’horizontalité et de la verticalité en articulation est importante. Pour que quelque chose soit efficace et perçu comme étant efficace, il faut avoir réussi à écouter ce que les gens attendent, et ensuite avoir réussi à le mettre en oeuvre.

 

IK : Avez vous un élément à ajouter?

Bassem Asseh : Oui, un point important. Beaucoup de décisions sont prises au niveau métropolitain. Les investissements par exemple, c’est plutôt du domaine des métropoles. Or les métropoles sont parfois perçues, à tort ou à raison, comme étant une structure à tendance technocratique, un peu comme Bruxelles par rapport aux états. On leur met sur le dos beaucoup de choses, parfois ça peut être mérité. Comme le vote pour les conseillers métropolitains n’est pas encore un vote au suffrage universel, ce n’est pas encore idéal en termes de démocratie représentative. Je trouve que ce n’est pas bon de donner beaucoup de puissance à une institution qui est perçue comme n’étant pas suffisamment démocratique. Il faudrait modifier le mode de scrutin des conseils métropolitains. Cela permettra de créer plus de cohésion aussi à l’intérieur d’une métropole. C’est facile de dire qu’on est Nantais, mais est-ce qu’on le dit dans le sens métropolitain du terme ? Cette citoyenneté métropolitaine a besoin d’être construite, et le dialogue citoyen. Car le dialogue citoyen, c’est l’efficacité des décisions publiques et le renforcement de la cohésion sociale. Des gens qui ne se seraient jamais rencontrés viennent parler d’un sujet précis et aboutissent à une décision commune.

La suite des interviews #2 et #3 :

> #2 Samuel Gautier, Géographe prospectiviste, associé FuturOuest, juin 2019

> #3 Bruno Servel, Maire de Kergrist et chargé de développement de Bruded, juillet 2019

 

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