Article Tribune Libre #60 de Gaël Bernicot

Festival D : Quand le code s’échappe de l’ordinateur

Les 26 et 27 septembre, le Lieu Unique a été investi par les bricoleurs géniaux du Festival D, un festival de créativité technologique. Fiers de leurs blouses bleues, ils ont mis le LU à l’heure du bricolage numérique créatif, des FABLABS et de la robotique.

Émergence d’une nouvelle culture de l’innovation ?

À l’étage, les enfants de 5 à 77 ans ont pu participer à des ateliers autour de la programmation de robots, du développement de code informatique ou du montage d’une bestiole électrique qui dessine. Moteurs, fils, roues ou piles roulaient sur les tables à côté des ordinateurs portables et des périphériques USB.

Au rez-de-chaussée, différentes associations, projets et autres Fablabs présentaient leurs travaux. Imprimantes 3D, découpes laser et montages électroniques « faits main » animaient le lieu, entre atelier numérique futuriste et foire low-tech écolo.

Que voit-on émerger de cette profusion créative un peu chaotique ?

Code —> Réalité —> Code

Le premier constat est que le Rubicon entre monde virtuel du code et monde réel de l’objet est plus que largement franchi, dans les deux sens et par beaucoup de monde.
Le numérique, au sens de l’informatique répandue et connectée, avec des systèmes programmables par des langages largement diffusés, existe depuis longtemps.

L’informatique des utilisateurs et l’informatique des développeurs dialoguent depuis plusieurs décennies avec une grande créativité mais les « productions » restaient souvent cantonnées à l’écran ou à la page d’impression. L’accès au prototype, à l’objet manufacturé complexe, restait difficile.

On a récemment observé une convergence technologique permettant d’incarner les prouesses de développement numérique dans des objets physiques. Le modèle numérique vient à la réalité par des machines de plus en plus accessibles. L’imprimante 3D ou la table de découpe laser sont les stars de la catégorie, mais cette convergence met également à la portée du particulier astucieux des cartes électroniques programmables (Arduino) ou produites en petite série à la demande. Le code passe à la réalité.

Inversement la démocratisation des systèmes de télémesure ou de prise de vue et la possibilité de les embarquer sur des engins volants permet la numérisation 3D d’objets ou d’espaces. La réalité est alors numérisée, accessible au code.

Cette porosité entre ce qui est sur mon ordinateur et le réel qui m’environne devient accessible à (presque) tous.

Au-delà de la dématérialisation, tous inventeurs

La révolution informatique a déjà eu un impact énorme dans les secteurs les plus « dématérialisés ». Elle est à la source d’innovations qui secouent des secteurs comme la presse, l’enseignement, les services. Elle a profondément changé l’organisation des entreprises et a été à l’origine d’un flux continu d’innovations de commercialisation ou d’organisation. Toujours vers plus de dématérialisation.

En revanche, dans le monde matériel, l’informatique a eu une diffusion moins spectaculaire. Le passage du numérique à l’innovation de produits physiques ou de procédés était limité par les coûts de façonnage des prototypes et les difficultés d’accès à l’électronique. Cette limite est en passe de tomber. Le festival D illustre la démocratisation
de la production d’objets technologiques qui rappelle la façon dont le code informatique a rendu accessible la création d’objets virtuels. Des particuliers chez eux ou des associations dans les Fablabs peuvent fabriquer des produits innovants ou explorer de nouvelles méthodes pour produire des objets technologiques.

Une nouvelle économie de l’innovation ?

En circulant dans les allées du festival D, on pouvait observer un modèle d’innovation original.

Beaucoup de modèles économiques situent l’innovation technologique dans les grandes entreprises ayant de lourds moyens consacrés à la recherche et au développement. Cette perception se justifie par deux idées. D’abord, que la conception et la mise au point de prototypes en vue d’une production de masse justifie la concentration capitalistique.

Ensuite que le lourd investissement de l’innovateur doit être incité par la garantie d’une rente momentanée renforcée par une protection de sa propriété intellectuelle. La convergence technologique autour du numérique et des objets questionne ces deux idées.

En premier lieu, l’expérimentation et l’innovation sont maintenant accessibles à des collectifs aux moyens relativement modestes. Cette faiblesse du coût des expériences favorise une innovation fondée sur l’expérimentation créative et la sérendipité. C’est aussi les prémisses d’une autre approche de la production de bien : la petite série à la demande.

En second lieu, l’échange ouvert des connaissances est la norme dans cet environnement. L’innovation naît de la rencontre de gens, d’idées, de savoirs qui se partagent selon des modalités ouvertes, à l’image de ce qu’a connu le logiciel libre. Les fichiers pour imprimer en 3D une imprimante 3D sont diffusés librement dans un rêve d’auto-réplication.

Plus subtilement, on perçoit qu’autour de ces projets technologiques gravite un laboratoire expérimental d’idées et de pratiques : lien social, frugalité non consumériste et créativité parfois franchement artistique.

Quelle innovation soutenir ?

En sortant du festival D, on pouvait avoir un certain sentiment de décalage entre ce qu’on était venu admirer et un discours ambiant sur l’innovation fondée sur les grandes entreprises et la concentration autour de grands champions nationaux protégés par leur portefeuille de brevet. Une conception assez néo-colbertiste et guerrière de l’économie.

Avec les Fablabs et les moyens techniques offerts par le numérique des objets, on peut cultiver un autre modèle d’innovation. Investir localement dans des écosystèmes humains inventifs a un double intérêt. A court terme, ils permettront peut être de faire émerger de nouveaux produits ou procédés « bankable ». A plus long terme, fablab et numérique des objets favorisent une culture de l’invention technique collaborative chez le citoyen. Ils contribuent à l’émergence d’un savoir faire technologique et social favorable aux entreprises innovantes locales.

Avec le festival D, on touche du doigt deux puissants moteurs de l’innovation que la logique économique des rendements croissants ignore : le lien social et la poésie.

Gaël Bernicot

 

Crédits photo : © Delphine Bézier pour Makery.info

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