Empowerment : migrations et avatars d’un concept

Paru dans la Tribune Libre #50 (PDF, 1.72 Mo)
Mai 2013

Auteur : Marie-Thérèse NEUILLY

 

Un certain nombre d’échanges informels dans nos groupes de réflexion ont fait émerger des questionnements sur « l’empowerment », ce concept que l’on ne peut se résoudre à traduire en français sous peine d’en trahir la signification complexe, et qui fait une rentrée en force dans la littérature politique, en particulier en ce qui concerne la politique de la ville1. Les chemins qu’il a empruntés sont nombreux, depuis le début du 20ème siècle à Chicago, on le retrouve dans les expériences mises en oeuvre par les femmes indiennes pour sortir de la pauvreté, il est retravaillé par les organisations internationales, dont la Banque mondiale, mesuré par le PNUD2 qui va élaborer des «indicateurs d’empowerment»… Et l’empowerment fait aussi questions par rapport à ses implications et conséquences politiques.

On peut le définir comme pouvoir d’agir, ou plutôt « appropriation ou réappropriation de son pouvoir3 », dans un processus dynamique qui va permettre une reprise en main de sa propre histoire, pour l’individu comme pour la communauté.

Ce concept peut être défini à 3 niveaux, l’individuel, le communautaire et le politique. L’individu va prendre le contrôle de sa propre vie en développant ses habiletés et ses initiatives, en reprenant confiance en lui. Il arrive ainsi à satisfaire ses propres besoins et à rentrer en relation avec les autres. Une approche psychosociale de ce concept rapporte cet empowerment de nature psychologique à sa dimension communautaire. L’individu ne peut se développer qu’en interaction avec les autres membres de son groupe, on parlera d’empowerment communautaire. Dans la perspective politique, l’empowerment d’un groupe social permet de changer les structures en place et les relations de pouvoir entre les diverses instances, les décideurs et les citoyens.

Effet Obama

Pour comprendre cette notion « d’effet Obama4 »,qui remet à l’ordre du jour l’empowerment, il faut remonter aux années 1930, aux travaux de « L’Ecole de Chicago »5 , ville où le dispositif de « community organizing6 » fut mis en oeuvre par Saul Alinsky, sociologue « radical »7 , qui lance sa première action dans un quartier pauvre, en faisant travailler ensemble des organisations qui jusque-là ne se parlaient pas : l’Eglise catholique et les syndicats ouvriers. Et Obama lui-même fut un « community organizer » à Chicago.

Dans les années 1970, le concept d’empowerment est mis en oeuvre en Inde au sein du réseau DAWN, le réseau «Alternatives pour le développement avec les femmes à l’aube d’une ère nouvelle». Les femmes pauvres ont accès à la microfinance après s’être constituées en groupes solidaires d’une vingtaine d’épargnantes (self help groups – SHG). L’empowerment des femmes est aujourd’hui présenté comme une stratégie-clé du développement.

Un nouveau modèle de société

Pour ce qui est des Organisations Internationales, la plupart se sont saisies de ce concept. Ainsi la Banque Mondiale opère un changement de paradigme à la fin des années 1990, voulant promouvoir un nouveau modèle de société, qui ne dissocie plus les structures économiques et sociales de l’économique et fondant ses stratégies de luttes contre la pauvreté sur l’empowerment et la microfinance. Le PNUD a traité ce terme complexe et multidimensionnel en le traduisant en un nombre important d’indicateurs pour le mesurer en tant qu’impact potentiel des dispositifs de micro finance et en le liant à la question du genre.

Les modalités

Comment promouvoir une prise en charge individuelle et communautaire pour mettre fin à une politique aliénante de dé-responsabilisation des « ayants droit » ? Une politique libérale pourrait reposer sur cet empowerment, mobiliser et dynamiser individus et groupes, garantir des économies… mais peut -être aussi occasionner des ravages sociaux et psychologiques auprès des plus vulnérables. Cependant peut-on considérer qu’il y a en France une résistance à l’empowerment et ce plus particulièrement en matière de politique de la ville, parce que l’on associe le communautaire à la notion de communauté ethnique et culturelle, un « communautarisme » qui est perçu comme anti-républicain ?
Pour Saul Alinsky, le community organizing sert avant tout à organiser des contre‐pouvoirs citoyens. Le « vivre ensemble » consensuel tel que véhiculé par les pratiques lénifiantes de la « fête des voisins » ou du développement de forums participatifs animés par des permanents presque professionnels de l’associatif est donc loin de ces pratiques
clivantes de groupes de pression qui peuvent être assez peu démocratiques, car peu soucieuses d’un intérêt commun ou de l’acceptation d’autres croyances et modes vie.

L’empowerment peut contribuer à la résolution d’un certain nombre de difficultés sociales liées au changement. Le vieillissement mondial de la population amène les décideurs et les spécialistes à se poser la question : le vieillissement, un fardeau ou une ressource ? Oscillant entre le « care », les politiques d’aide, le développement d’une médicalisation extrême, les réponses à ce qui est perçu comme un « problème de société » sont en général partielles et insuffisantes. Celles qui relèvent d’un véritable empowerment doivent permettre de contribuer à la mise en place de politiques inclusives8, les seules options qui
donnent à la personne âgée ce statut de citoyen à part entière dans sa société.

Pour mieux comprendre cette pratique de l’empowerment, on peut se tourner vers ces professionnels qui animent les dispositifs, ces « organisateurs de communautés » : « Le travail d’organisation nous apprend la beauté et la force des gens de tous les jours, des gens de peu… c’est à travers ces histoires et ces chants d’espoirs brisés et d’endurance, de laideurs et de querelles, de subtilités et d’éclats de rires, que les organisateurs peuvent façonner un sens de la communauté, pas seulement pour les autres mais aussi pour eux-mêmes. »9

1 « Avec l’empowerment peut- on repenser les quartiers de l’intérieur ? », article de Jean-laurent Cassely, 27 mars 2013, Slate.fr

2 Programme des Nations Unies pour le Développement

3 Empowerment : Définition (à partir de : prendre en compte l’empowerment dans l’élaboration de programmes humanitaires ou communautaires applicables à des populations vulnérabilisées, M.T.NEUILLY, Gestion et prévention de crises en situation post-catastrophe, De boeck 2008

4 Sur ce thème, voir l’article de Rue 89, Quand Obama était organisateur de communauté, 18 mai 2011

5 École de sociologie

6 Traduit parfois par “gestion communautaire”, mais ce terme ne recouvre pas totalement le sens américain

7 En anglais, proche de l’extrême gauche

8 HelpAge International’s work

9 Obama, interview 1988, rue 89